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et à qui il est interdit à jamais de sentir le beau et de goûter le talent. Puis sont venus les rapins de la politique, adoptant tous les dédains de l’aristocratie pour conclure en faveur de la démocratie, humiliant dans le présent les bourgeois d’aujourd’hui devant les privilégiés d’autrefois, et, bien sûrs que ceux-ci ne sont plus, déclarant à ceux-là qu’ils ne seront jamais, en sorte que ces pauvres bourgeois n’auraient jamais eu leur temps : il était trop tôt pour eux sous l’ancien régime, il serait trop tard sous le nouveau. Les comédies du jour, les romans en renom sont remplis de cette élégante et seigneuriale malveillance pour la bourgeoisie française, et l’on regrette d’en trouver des traces jusque dans quelques-unes de ces compositions exquises qui sont le charme et la gloire du recueil où j’écris.

Heureusement l’ostracisme politique que l’on voudrait prononcer contre la bourgeoisie n’a aucun sens. Que ses plus cruels censeurs veuillent bien nous dire comment ils s’y prendraient pour mettre le pouvoir dans d’autres mains que celles de la classe moyenne. Ces mots mêmes de bourgeoisie, de classe moyenne, ne sont plus exacts, car l’un suppose une noblesse, l’autre une aristocratie. Or, malgré la fantaisie passionnée qui s’est depuis un temps ranimée pour de vains titres, là où il n’y a plus de privilèges, il n’y a plus de roture. La supériorité de mérite ou de fortune distingue seule les individus. Quant aux classes, il y a celle qui vit de revenus et celle qui vit de salaires, et toutes deux se touchent sur leur limite et s’y confondent. Il y a surtout celle qui a reçu une éducation libérale et celle à qui cette éducation a été refusée. Et qui jamais a prétendu que vivre d’un salaire journalier et manquer de toute éducation ou d’une éducation libérale fussent des titres à la gestion des affaires publiques ? Les plus dédaigneux ennemis du gouvernement des classes moyennes n’ont d’autre prétention, les uns que d’avoir plus de loisir, les autres plus d’esprit qu’elles. Une certaine aisance accompagnée d’une certaine éducation sera donc toujours, sauf des exceptions infiniment rares, le signe d’une aptitude générale aux fonctions, grandes ou petites, du gouvernement. Il ne s’ensuit pas que les plus riches y seront les plus propres, pas plus que les plus ornés des dons les plus brillans de l’esprit, tels que la science ou le talent. La capacité politique est aidée, décorée, rehaussée, mais non suppléée par le talent ou la science ; elle ne se proportionne pas aux facultés qui font le grand artiste ou le grand écrivain : Villèle a fait plus de figure dans le gouvernement que Chateaubriand ; mais, quoique l’art de gouverner ou d’administrer soit, comme on dit, une spécialité, jamais l’ignorance forcée et les vues rétrécies du travailleur qui n’a que ses bras n’en seront l’indice et la condition. Le gouvernement, l’administration se recruteront toujours nécessairement