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ou défigurerait celle de ses adversaires, M. Guéroult a les meilleures qualités du journaliste, et il est rare, en restant aussi systématique, de porter dans le débat autant de mesure et de loyauté. Sa manière est simple, sa discussion solide, et il ne déclame jamais. Lui aussi, en soutenant la thèse de la démocratie, il ne repousse pas le césarisme : je me sers de ce mot, qui ne peut blesser, et qui est aussi clair que son synonyme. M. Thiers n’a-t-il pas dit : « Nous avons vu César lui-même ? » mais M. Guéroult écrit dans la presse militante et souffrante, il ne se peut donc qu’il demeure insensible aux intérêts de la liberté. Ou nous sommes bien trompé, ou s’il a cru devoir les subordonner quelquefois à d’autres intérêts qu’il jugeait plus pressans, il est revenu de ces ménagemens, et son plus grand souci est aujourd’hui la défense ou la conquête du droit d’écrire comme de penser librement. Cependant, avec M. Petetin, M. Guéroult admet, sans en faire, il est vrai, la base de sa politique, l’identification de la révolution française et de Napoléon. Elle se personnifia en lui pour se défendre.

Cette opinion n’est ni rare ni nouvelle, et peut-être doit-elle son origine à cette nécessité de circonstance qui a poussé, sous la restauration, le libéralisme et le bonapartisme à s’unir au point de se confondre quelquefois. L’un et l’autre avaient le même drapeau : la cocarde de Lafayette était celle du vainqueur d’Austerlitz. La communauté de disgrâces et d’antipathies rapprochait ces deux partis dans une commune opposition, et ce besoin, si puissant parmi nous, de fabriquer une théorie qui érige nos sentimens en système conduisait à ne voir dans l’empereur que le représentant de la révolution. Il l’était sans doute à certains égards, mais il était bien autre chose encore, et l’on exagérait une vérité partielle au point d’en faire la fausse majeure de plus d’un sophisme. Issu de la révolution, Napoléon l’attestait par son pouvoir même : il semblait constater l’anéantissement de tout ce qu’il remplaçait ; mais il adoptait la révolution en éclectique, plus attentif aux intérêts qu’elle avait créés que fidèle aux principes qu’elle avait proclamés. Que faisait-il des idées qu’elle avait lancées par le monde ? C’étaient comme des coursiers généreux et rapides qu’il attelait à son char, mais il les menait où il voulait, changeant leur voie et leur allure, les menaçant du fouet redoutable. Franchement peut-on soutenir que, toujours en présence des efforts désespérés de l’Europe pour étouffer en France l’épanouissement des principes, Napoléon ne put jamais éviter la lutte ? La bataille de Marengo peut encore être regardée comme une victoire à mettre au compte de la révolution française ; mais, ce grand jour passé, il est très douteux que la rupture de la paix d’Amiens ne doive pas être imputée à la politique personnelle