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humaines, fort épris au contraire de la doctrine du progrès, grands partisans de la perfectibilité, et qui soutiennent cependant une politique où la liberté descend au second rang. Tout le monde connaît cette conception qui met le droit de choisir ou de ratifier son gouvernement au-dessus du droit de se gouverner soi-même, ou du moins de participer effectivement à la conduite des affaires publique. Suivant certains publicistes, la démocratie est un fait impérieux qui veut être proclamé et une chose vaine qui se contente de cela. Pourvu que l’origine du gouvernement soit démocratique et qu’il le reconnaisse, peu importe que sa direction le voit ; ce qu’il faut au peuple, c’est une satisfaction d’amour-propre. Dès que son choix remplace le principe de la légitimité, il peut rester étranger au pouvoir et recevoir d’en haut une politique toute faite. Devenue comme la dispensatrice du droit divin, la démocratie peut s’appliquer ce qu’on a dit de Dieu, elle a commandé une fois et elle obéit toujours. Elle donne nécessairement son esprit en déléguant sa souveraineté, et toutes les précautions légales qu’elle prendrait ensuite contre l’action discrétionnaire du pouvoir seraient prises contre elle-même : ce seraient au moins des atteintes à son propre ouvrage, la rétractation de sa confiance et la condamnation de son choix. Les institutions représentatives qui mettraient le pouvoir au concours manqueraient de respect à la démocratie, en supposant qu’elle n’inspire pas la souveraineté qu’elle a créée.

On critique la monarchie constitutionnelle comme un gouvernement de fiction. Il y aurait bien plus de fictions encore dans cette monarchie démocratique absolue, car elle supposerait que le roi ne peut faire mal en gouvernant seul et par lui-même. Les ministres, quoique librement ministres, ne répondraient de rien et seraient innocens, à la charge de prouver qu’ils ont obéi. Ainsi l’institution démocratique conférerait au prince l’infaillibilité, et à ses ministres l’inadmissibilité du salut. La théologie scolastique n’a rien de plus subtil et de plus forcé.

Je suis prêt à convenir que, dans la réalité, aucune constitution effective ne réalise ces conséquences extrêmes. De serviles commentateurs ont beau dire, leurs théories sont limitées par les faits. Encore moins sont-elles acceptées par tous les écrivains sincères qui cependant, entre l’école démocratique et l’école libérale, ont opté pour la première. Ils peuvent bien ne point partager notre vieille foi dans ces sauvegardes constitutionnelles que toute l’Europe s’est mise à réclamer depuis que la France s’en est montrée moins jalouse ; mais leur amour du pouvoir ne va pas jusqu’à la haine de la liberté.

Ainsi pense certainement M. Anselme Petetin. Dans les, mélanges qu’il vient de réimprimer sous le titre de Discussions de Politique démocratique,