Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lentement le sol : elle s’infiltrera dans la terre végétale et coulera doucement, arrêtée par le tronc et les racines. Ces eaux, se réunissant en filets plus ou moins considérables, descendront lentement vers la plaine, formant des ruisseaux permanens et non plus des torrens éphémères ; elles arroseront la contrée et ne la ravageront plus. La terre végétale provenant du détritus des feuilles et de la végétation herbacée ne sera plus entraînée dans les fonds mais restera sur les pentes. Grâce à elle, les graminées que les moutons recherchent se multiplieront, et au lieu de nourrir 2,000 bêtes à laine, qui maintenant trouvent à peine leur subsistance en arrachant les plantes qui végètent entre les pierres, 20,000 têtes de bétail, à raison de 4 bêtes par hectare, y vivront dans l’abondance. Une foule de plantes amies de l’ombre et de la fraîcheur, que les anciens botanistes avaient signalées sur le Ventoux, reparaîtront dans la suite. Les cultures pourront s’échelonner sur ses flancs, protégées par les forêts contre ce terrible mistral qui brise, couche sur le sol et dessèche toute plante délicate. Le bois de chauffage, dont le prix augmente sans cesse, deviendra plus commun, certaines industries impossibles actuellement pourront renaître, et enfin l’œil ne sera plus attristé par la vue de cette montagne pierreuse qu’on a appelée, non sans quelque raison, une montagne de macadam. Telles sont en peu de mots les effets immédiats du reboisement de la chaîne du Ventoux ; les conséquences éloignées sont incalculables.

Le Mont-Ventoux offre une succession de régions végétales bien définies et caractérisées par l’existence de certaines plantes qui manquent dans les autres[1]. Ces régions sont au nombre de six sur le versant méridional, de cinq sur le versant septentrional. Nous commencerons par le versant sud, celui qui se confond à sa base avec la plaine du Rhône. Toutes les plantes de la plaine appartiennent à la région la plus basse : elle se caractérise très bien par deux arbres, le pin d’Alep et l’olivier. Tous deux sont propres au bassin méditerranéen, autour duquel ils forment une ceinture interrompue seulement par le delta de l’Égypte. Le pin d’Alep se trouve sur toutes les collines qui longent le pied méridional du Ventoux ; .mais il ne dépasse pas 430 mètres au-dessus du niveau de la mer. L’olivier monte plus haut, mais n’est plus cultivé au-dessus de 500 mètres. Sous ces arbres, on rencontre toutes les espèces méridionales qui caractérisent la végétation de la Provence : le chêne kermès, le romarin, le genêt d’Espagne, le Dorycnium suffruticosum. — Une zone étroite succède à celle-ci : elle est caractérisée par le chêne vert, celui-là même qui est si favorable à la production de la truffe. Cet arbre ne dépasse guère 550 mètres ; mais les semis opérés depuis

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1856, la Géographie botanique et ses progrès.