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Quant aux collections botaniques et zoologiques entassées dans des greniers, elles se détériorent rapidement. Esprit Requien a consacré sa vie entière à doter son pays d’un musée, d’histoire naturelle, d’une bibliothèque et d’un jardin des plantes. Douze ans après sa mort, il ne reste plus rien que les livres amassés par lui et le souvenir de son désintéressement, de son activité et de son savoir.


II

Le savant naturaliste d’Avignon, Requien, avait parfaitement reconnu les différentes zones végétales du Ventoux, et il voulut bien m’aider de ses conseils pour ma première exploration en 1836. De loin, l’œil ne distingue pas ces zones ; il ne reconnaît qu’une bande brune qui semble couper la montagne par le milieu : c’est la forêt de hêtres, qui occupe la région moyenne. Le récit de Pétrarque nous fait soupçonner et la tradition nous enseigne que jadis le Ventoux était couvert de bois ; mais les vents violens ont achevé l’œuvre de destruction que l’homme avait commencée en découpant ce manteau de verdure. Vers 1795, une bise de nord-est déracina une forêt située à 1,560 mètres d’élévation, sur le versant septentrional. Au milieu de la pente tournée vers le nord-ouest, on reconnaît, à la hauteur moyenne de 1,590 mètres, des souches d’arbres énormes qui sont tombés sous la hache. C’est pendant la révolution que le déboisement s’est opéré pour ainsi dire sans contrôle ; chaque commune faisait son bois sur la montagne, qui peu après a pris l’aspect désolé qu’elle présente encore actuellement. D’autres obstacles se sont opposés aux efforts de l’état et des particuliers pour favoriser le repeuplement des forêts. Le libre parcours doit être mentionné en première ligne. Les moutons et les chèvres sont les plus grands ennemis du reboisement des montagnes. Les propriétaires de troupeaux se sont toujours opposés aveuglément aux semis et aux plantations qui restreignent les pâturages. Pour le Ventoux, la résistance était encore plus ardente que dans d’autres contrées ; en effet, partout où les arbres n’existent pas, le sol se couvre de thym, de romarin, de lavande, de fines graminées qui non-seulement sont recherchées des animaux, mais communiquent à leur chair une saveur particulière. Quiconque se rappelle ce goût insipide de la chair du mouton en Angleterre par exemple, où il ne se nourrit que d’herbes aqueuses sans goût et sans parfum, et le compare à celui des moutons de l’Auvergne, des Cévennes ou de la Provence, comprendra que les flancs dénudés du Ventoux aient aux yeux des propriétaires de bêtes à laine la même valeur qu’une belle prairie pour un fermier du nord de la France. On comprend également qu’il ne suffise pas d’interdire le parcours et même de clôturer les terres soumises au reboisement. Le berger,