Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(les Goths le croyaient du moins), n’était pas un dieu plutôt qu’une ville. Beaucoup étaient persuadés que ses murailles lançaient la foudre. Un événement naturel vint fortifier ces superstitions en face de Narnia, quoique la différence fut grande entre Narnia et Rome. Au moment où Alaric attaquait cette ville, située sur une roche abrupte et presque inaccessible dont la Nera baignait le pied, il s’éleva tout à coup un de ces orages si fréquens en automne dans les régions de l’Apennin, et qui éclata avec une violence terrible. Narnia était comme ceinte de feux, et le bruit du tonnerre, répercuté au loin par les échos, semblait annoncer un bouleversement de la nature. Les Goths, saisis d’une terreur panique, s’enfuirent, et Alaric, cédant peut-être à la même impression, ne fit halte qu’à Ocriculum. Aucun incident remarquable ne signala plus sa marche jusqu’aux portes de Rome. En vue de la ville éternelle, il établit son camp dans la plaine qui bordait la grande cité vers le nord et se continuait au sud-est le long du Tibre jusqu’au port. Dans cette situation et maître de barrer le fleuve, il menaçait les communications de la ville avec ses greniers d’approvisionnement, situés à l’embouchure du Tibre, et pouvait l’affamer au besoin.

L’apparition de cette armée barbare fut presque une surprise pour le sénat et pour le peuple, qui ne l’attendaient pas si tôt. Tout le monde avait compté sur une guerre en règle, sur des batailles, sur des sièges, sur une défense quelconque des populations italiennes et de l’armée, comme aux jours de Pollentia et de Fésules ; mais aucune armée n’avait montré son drapeau, aucun obstacle n’avait retardé cette marche triomphale, et l’ennemi était là. Grâce à la folie de désordre où les derniers événemens politiques avaient plongé la ville, on n’avait guère connu le progrès des Goths que par l’arrivée des fugitifs, paysans ou soldats, qui venaient y chercher asile; le sénat n’avait reçu aucun avis, aucune instruction du gouvernement impérial; personne n’avait osé commander, et les magistrats ne s’étaient occupés de rien. Il fallut tout régler, tout faire à la hâte, sous les yeux de l’ennemi. On s’empara des arsenaux de l’état, on arma le peuple, on garnit les remparts de balistes, de pierres et d’autres armes de jet; on exerça enfin au maniement des engins de guerre une populace inhabile et craintive; tout cela se fit presque au hasard et sans direction. Chose incroyable, si l’histoire ne l’affirmait pas : on allait jusqu’à ignorer dans les murs de Rome quel était le chef de cette armée barbare qui venait de traverser l’Étrurie et qui campait au bord du Tibre. Suivant les mieux informés, c’était Alaric; suivant d’autres, c’était quelque ancien général de Stilicon conduisant les anciens auxiliaires licenciés par Olympius, ou Sarus ou tout autre; pour quelques-uns même, c’était Stilicon qui n’était point mort. « Sauvé par des soldats dévoués, il avait, disait-on, ral-