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toujours cassés par les cailloux enlevés sur les terrasses voisines. L’abbé Portalis fut emporté par un coup de mistral du sommet de la montagne de Sainte-Victoire, près d’Aix, et se tua dans sa chute. Moi-même, dans une ascension au Ventoux, je fus obligé de me cramponner à un rocher pour ne pas éprouver le même sort, et je gagnai en rampant une crête qui me mit un peu à l’abri des rafales ; elles étaient intermittentes, mais furieuses, accompagnées d’un bruit semblable aux détonations de l’artillerie, et semblaient ébranler la montagne jusque dans ses fondemens.

Le mistral rentre dans la catégorie de ces vents que M. Fournet a désignés sous le nom de brises de montagnes ; c’est un vent local propre aux vallées du Rhône et de la Durance, et qui rarement dépasse de beaucoup les côtes de la Provence et du Languedoc. En mer, il abandonne à peu de distance du port les navires qui, partant de Marseille, comptent sur lui pour gagner rapidement les côtes septentrionales de l’Afrique ; d’un autre côté il arrête en vue de la terre ceux qui veulent entrer dans les ports de Marseille ou de Cette, et les force à s’abriter derrière les îles d’Hyères ou à gagner les côtes d’Espagne. La génération du mistral s’explique parfaitement par la configuration des côtes méditerranéennes de la France. L’embouchure du Rhône forme un grand delta sablonneux dont la base a une longueur de 65 kilomètres ; à l’est, ce delta touche à la Crau, vaste plaine couverte de gros cailloux descendus jadis par la vallée de la Durance ; à l’ouest s’étend une succession de plages sablonneuses, de marais salans et de montagnes basses et dénudées. Ces plages s’échauffent prodigieusement sous les rayons du soleil méridional ; l’air qui les recouvre se dilate et s’élève ; il se forme donc un vide, mais l’air froid qui remplit les hautes vallées des Alpes ou recouvre les plateaux des Cévennes et de la Montagne-Noire se précipite pour remplir ce vide ; cet air qui se précipite, c’est le mistral. Chaque jour nous sommes témoins du même phénomène quand nous allumons le feu de nos cheminées ; dès que l’air échauffé par la flamme s’élève par le tuyau, l’air froid se précipite de tous les côtés vers ce foyer d’appel, il pénètre par les jointures des portes et des fenêtres, alimente le feu et s’échappe avec la fumée par le haut de la cheminée. Les choses se passent de même en Provence et en Languedoc. Lorsque les Alpes et les Cévennes sont couvertes de neige, la plage s’échauffe, et le mistral souffle avec une violence incroyable, surtout pendant le jour ; la nuit, le rivage se refroidit par rayonnement, la différence de température entre l’air chaud de la plaine et l’air froid de la montagne tend à s’égaliser, et le vent tombe pour recommencer le lendemain. Le foyer d’appel de ce courant d’air étant sur la côte, on conçoit qu’il ne se prolonge