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des mieux déterminées de la France. Le sommet du Ventoux, point géodésique de premier ordre, fait partie du canevas ou réseau primordial de la carte de France. Partant du niveau moyen de la Méditerranée au phare de Planier, près de Marseille, un savant ingénieur-géographe, M. Delcros, détermina cette hauteur en 1823 par quatre opérations très concordantes, et rectifia les anciennes hauteurs, toutes notablement exagérées. Vers l’est, le Ventoux se continue avec la montagne de Lure, qui se prolonge jusqu’à Sisteron, dans les Basses-Alpes. À l’ouest, il plonge brusquement dans la plaine et se termine près de la petite ville de Malaucène. Nulle montagne mieux que le Ventoux ne montre cette disposition, si générale dans les chaînes calcaires du monde entier. L’un des versans, celui qui regarde la plaine, est long et très incliné à l’horizon ; l’autre, celui qui fait face aux Alpes, est court et abrupt. La montagne, disent les géologues anglais, a une jambe longue (long leg) et une jambe courte (short leg). Cette forme résulte du mode même de structure. Les couches qui composent le Ventoux se déposèrent d’abord horizontalement au fond d’une mer géologique ; lorsqu’elles furent consolidées, une force dont la nature est encore un mystère, mais dont la direction était tangentielle à la surface du globe terrestre, détermina la rupture de ces couches, qui se relevèrent en faisant un mouvement de bascule du nord vers le sud. Aussi le versant sud est-il en pente douce, parce que l’on marche sur le plan des couches relevées. Le versant nord est raide ; c’est un escalier gigantesque, dont les mêmes couches, brisées et rompues, forment les marches. La tranche en a été mise à nu par le relèvement de la montagne, et on escalade péniblement cette paroi inégale et escarpée, qui contraste avec la faible pente du versant méridional. On choisit donc de préférence, pour les ascensions au Ventoux, le versant méridional, tandis que l’on descend plus vite, sinon plus facilement, par le côté septentrional.

Le Mont-Ventoux appartient tout entier à une même formation géologique, le terrain néocomien, ainsi nommé parce qu’il a été signalé pour la première fois dans la ville même de Neufchâtel, en Suisse. Ce terrain appartient à la portion inférieure de l’étage crétacé, étage très développé en France, aussi bien dans le nord que dans le midi. Dans le nord, il forme un cercle presque continu autour de Paris, en passant par Alençon, Angers, Chatellerault, Auxerre, Saint-Dizier et Rethel. Entre Auxerre et Saint-Dizier, on observe une bande dépendant du terrain néocomien, qui sépare la- craie proprement dite des plaines de la Champagne des terrains jurassiques de la Bourgogne. Dans cette contrée, les assises néocomiennes ne sont pas relevées comme au Ventoux : elles ont conservé