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collecteur de l’impôt vend ses bœufs ; les maisons, l’une après l’autre, se ferment et s’écroulent ; il est bien des villages où chaque année un ou deux feux s’éteignent pour ne plus se rallumer. Quant aux familles de beys ou de cheikhs, comme on dit en Syrie, les unes épuisent et meurent dans l’apathie et la misère orgueilleuse ; les autres, pour soutenir leur rang, se liguent avec les fonctionnaires contre ce pauvre peuple qu’elles ménageaient et protégeaient autrefois, quand elles tenaient à lui par des intérêts communs, et que notaient pas encore rompus les liens des groupes primitifs et des associations traditionnelles.

Une des charges qui, à cette heure, pèsent le plus lourdement sur les provinces turques, et dont on se plaint le plus, c’est l’impôt extraordinaire que la Porte s’occupe de lever, sous forme d’emprunt forcé, sur tout l’empire, hors l’Hedjaz et l’Yémen, afin d’arriver à retirer de la circulation le caïmé ou papier-monnaie qui encombre le marché à Constantinople. Voici à quelle combinaison le divan s’est arrêté. Le ministre des finances a réparti entre les différentes provinces la somme totale qui est nécessaire pour le rachat et le remboursement du papier. Dans chaque grand gouvernement ou eyalet, le pacha partage entre les sandjaks ou départemens de son ressort la somme à laquelle a été taxée la province. Dans la capitale de chacune de ces circonscriptions, le caïmacan, assisté du medjilis, fixé la contribution à laquelle sera imposé chaque caza ou arrondissement suivant sa richesse et sa population. Au chef-lieu de l’arrondissement, le mudir et le medjilis assignent à chaque chef de famille la part du fardeau total qu’il devra prendre à sa charge. En échange du numéraire que chacun verse au trésor, il lui est remis la même somme en papier fabriqué tout exprès, et que les détenteurs doivent conserver dans leurs caisses pendant trois mois environ ; le gouvernement se réserve de fixer à son jour comment il entend rembourser ses débiteurs, soit en acceptant ce papier en paiement des impôts, soit en lui donnant dans les provinces le cours forcé que l’ancien caïmé a depuis longtemps, dans la capitale. Ces promesses n’apaisent et ne rassurent guère les contribuables. D’abord le gouvernement, par le taux auquel il prend les livres, la seule monnaie qu’il accepte pour le paiement, leur fait subir une première perte sèche d’environ 25 pour 100 ; le paysan reçoit la livre ou medjidié d’or, pièce valant à peu près 23 francs, pour 120 ou même parfois 130 piastres, du marchand qui lui achète son blé, et l’état ne la lui prend que pour 100 piastres. De plus, le sultan ne paie pas d’intérêt pour l’argent qu’il est censé emprunter ainsi pour plusieurs mois. Enfin ce qu’il donne en échange d’une somme plus forte en réalité d’un quart que celle dont il déclare vouloir