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Les Grecs de Cappadoce se répandent ainsi dans toute l’Asie-Mineure, mais sans jamais perdre l’idée et l’espoir du retour dans cette patrie où ils ont su se maintenir au milieu de populations musulmanes fort dures, à ce qu’il paraît, pour les chrétiens, et d’humeur fort violente. Ils sont très industrieux : les uns ont des magasins dans les bazars ou des boutiques d’épicerie dans les villages ; d’autres courent les campagnes comme colporteurs ; quelques-uns, comme ceux dont je parlais tout à l’heure, promènent jusque dans des provinces éloignées leur industrie nomade ; on en voit enfin, nous en avons trouvé jusque dans le pachalik de Brousse, qui, ayant pu acquérir quelque instruction à Constantinople ou à Smyrne, s’établissent comme maîtres d’école là où la communauté grecque n’est pas assez riche pour faire venir un maître de l’université d’Athènes, Vraiment, si la Turquie était autrement gouvernée, quel parti elle pourrait tirer des aptitudes spéciales des différentes races qui la peuplent ! Nulle part ailleurs on ne trouve une pareille variété. De ces diversités, quel concert d’efforts, quelle merveilleuse harmonie pourrait naître !

Le quatrième jour après notre départ de Kaledjik, nous atteignons enfin, à deux heures de nuit, la ville de Iusgat, capitale d’une vaste province qui comprend la Cappadoce tout entière et presque, toute l’ancienne Galatie. Nous recevons l’hospitalité chez Hadji-Ohan, riche négociant arménien, à qui nous étions recommandés. d’Angora. On nous fait un accueil empressé : de nombreux domestiques nous aident à décharger et à ranger nos bagages ; de nombreux verres d’eau-de-vie précèdent un excellent souper qui ne se fait pas longtemps attendre, et après lequel nous nous étendons dans des lits moelleux. Comme il est déjà tard, le chef de la famille, un, vieillard de soixante-cinq ans, est allé se coucher ; les honneurs sont faits par le fils aîné, un homme d’une quarantaine d’années. Il prend place à table avec nous et un ou deux de ses parens, accourus pour faire connaissance avec les voyageurs étrangers ; tout le. monde a devant soi des assiettes, mais aucun des Arméniens ne s’en sert. Ils prennent au plat, avec la fourchette, il est vrai, et non avec leurs doigts ; c’est une politesse qu’ils nous font, et une manière de montrer qu’ils sont gens civilisés.

5 et 6 novembre. — Iusgat, avec sa population de cinq à six mille habitans, a l’air d’un gros village ; ce n’est qu’à sa position centrale qu’elle a dû l’honneur d’être la résidence du gouverneur-général de qui dépendent à la fois Angora et Kaisarieh, C’est que Iusgat est une ville toute moderne, qui ne date pas de plus de cent vingt ans. Elle a pourtant déjà sa légende. Son fondateur, Achmet, surnommé Tchapan-Oghlou (le fils du berger) et connu plus tard