Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous ce ciel brûlant ! Ils ne savaient pas qu’Angora est à près de 900 mètres au-dessus du niveau de la mer[1].

C’est donc avec une véritable impatience que nous attendions le moment de quitter Angora et de reprendre la vie nomade ; pourtant, lorsque vint à luire enfin le jour tant désiré qui semblait nous fuir, nous nous sentîmes tous les trois le cœur serré. Le matin du départ fut triste ; nous ne pouvions dire à aucun de ceux dont nous nous séparions : Au revoir ! En dépit du proverbe musulman, que les Turcs aiment à répéter en de telles séparations : « les montagnes seules ne se rencontrent pas, » il y a bien peu de chances pour que nous serrions jamais de nouveau les mains cordiales qui se tendent vers nous pour l’adieu, et même celles de deux Européens qui étaient déjà devenus pour nous comme de vieux amis, MM. Duclos et Malfatti. Ce n’est surtout pas sans une profonde émotion que nous prenons congé de l’évêque, Mgr Chichmanian, dont l’affectueux accueil et la délicate bonté ont tant contribué à faciliter nos recherches, à rendre agréable et commode notre séjour à Angora. En nous inclinant sous la bénédiction du vieillard, nous sentions que, si même notre humeur vagabonde et la curiosité scientifique nous ramenaient un jour à Angora, lui du moins, nous ne l’y retrouverions pas. Un an ne s’était pas écoulé en effet depuis notre départ, que déjà ce troupeau perdait son cher et vénéré pasteur ; mais le mouvement qu’il a imprimé à la communauté catholique d’Angora ne s’arrêtera point, il faut l’espérer, les progrès dont il a donné le signal se continueront, et son œuvre lui survivra en se développant. À la douleur que nous a causée cette perte, il s’est mêlé du moins une consolation : c’est que nous avons pu, grâce à l’intelligente libéralité de l’œuvre des écoles d’Orient, réaliser la dernière pensée, le dernier vœu de Mgr Chichmanian, établir des relations suivies entre les catholiques français et ces frères éloignés dont hier encore ils ignoraient jusqu’à l’existence.

En attendant que l’occasion s’offrît ainsi, à notre retour en France, de montrer aux gens d’Angora que nous n’étions ni oublieux ni ingrats, nous n’avions rien épargné, pendant notre séjour dans cette ville, pour y faire le plus de bien possible. Le docteur Delbet avait soigné gratuitement les malades qui s’étaient présentés à lui ou qui l’avaient appelé chez eux, sans distinction de religion et de race. Or à Angora comme ailleurs il y a des exemples de gens reconnaissans, et quelques-uns de ceux qu’avait soignés et soulagés notre cher docteur étaient venus, même de quartiers éloignés, se joindre,

  1. La hauteur exacte, calculée d’après les observations de M. le docteur Delbet, est, pour la partie haute de la ville, de 871 mètres.