Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autre essai ridicule. On s’avise un peu tard de séparer la compagnie de la Banque ; on se figure qu’après avoir cruellement ruiné la seconde, on pourra isoler, faire fleurir à part la première, comme pure compagnie de commerce. Qui ne voit que ces deux noyés, quoi qu’on fasse, fortement liés, ont même pierre au cou qui les emporte au fond de l’eau ?

On avait balayé la place Vendôme. Agiotage et brocantage, toutes les ordures à la fois furent transportées chez le prince de Carignan, dans les baraques que ce spéculateur avait faites et louait à 500 fr. par mois dans son jardin de Soissons (Halle-au-Blé) ; mais là encore le brocantage, la friperie, primèrent la Bourse. Il fallut fermer cet égout.

Aucun paiement depuis le 21 juillet 1720. Souffrances intolérables. Les petits billets de 10 francs n’étant plus même payés et ne s’échangeant pas, on meurt de faim. De là ces fureurs, ces menaces de mort contre Law et le régent. Le peuple parisien sort de son caractère jusqu’à insulter, à poursuivre des femmes. Aux Champs-Elysées, on reconnaît la livrée de Law ; on jette des pierres à son carrosse, qui promenait sa fille : une pierre atteint, blesse l’enfant. On fit à Londres la gageure, de forts paris même, que le régent « ne passerait pas le 25 septembre. »

Law cependant osait rester encore. M. le Duc y avait intérêt, ainsi que d’autres ; ils le couvraient. Cependant les Duverney, les violens ennemis de Law ; étaient revenus de l’exil. Leur faction fit supprimer la banque (10 octobre). Ils avaient obtenu le 30 une défense significative de sortir du royaume sans passeport, annonce claire des mesures violentes dont on frapperait les enrichis, des spoliations, des procès, d’un visa nouveau et peut-être d’une nouvelle chambre de justice. Qui le premier y eût été traîné ? Law sans nul doute. Et qu’eût-il dit ? Eût-il pu se défendre sans accuser les princes, et les profusions du régent, et les brigandages de M. le Duc ? Celui-ci réfléchit, arrangea le départ de Law. Dans une belle voiture de promenade à six chevaux, il monta avec le chancelier de la maison d’Orléans et une dame jeune et jolie, fort intéressée à coup sûr à ce qu’il échappât. C’était la marquise de Prie. Hors de Paris attendait une autre voiture, du duc de Bourbon, une rapide voiture de voyage pour le mener à la plus proche frontière. Un fils de d’Argenson, intendant sur cette frontière du nord, l’y arrêta, demanda à Paris ce qu’il fallait en faire. Réponse : « Le laisser passer, mais lui retenir sa cassette, » une cassette des bijoux de sa femme, dernière ressource du proscrit !

En 1729, Law mourait misérable à Venise, espérant toujours et réclamant toujours.


J. MICHELET.