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signe de cet affaissement, c’est la facilité qu’eut Dubois, aux dernières années, de l’occuper de plats intérêts de famille, de mariages, d’archevêchés pour ses bâtards. — Donc représentons-nous dans son Palais-Royal cette figure qui fut le régent, ce distrait, ce myope, alourdi, ahuri, et ne sachant à qui entendre dans la foule exigeante, fort insolemment familière, de ces demandeurs acharnés. Quelle résistance ? Aucune ; une mollesse incroyable, une aveugle, une lâche générosité, pour être quitte et se débarrasser en donnant tout à tous. Triste soutien dans la violente crise et les périls de Law ! En 1718, on parlait de le pendre ; et 1719, on parlait de l’assassiner.

Les Anglais le menaçaient fort. Pendant plusieurs années, fort à leur aise ils avaient spéculé sur les variations de nos monnaies ; ils exportaient les monnaies fortes. Ils ne pardonnèrent pas à Law les mesures qui frappèrent ce trafic en juillet. Nos projets d’établissement au Nouveau-Monde leur plaisaient peu. Leur compagnie du Sud regardait de travers notre compagnie des Indes. Elle y voyait le grand obstacle à la hausse de ses actions. Stairs, leur ambassadeur, n’était qu’un Écossais, mais d’autant plus porté à dépasser les Anglais, même par son zèle furieux. Il était né sinistre, et il avait eu une terrible enfance. Il eut le malheur, en jouant, de tuer son frère. On prétendait (à tort peut-être ?) qu’au passage du prétendant (1716), il avait aposté un Douglas pour l’assassiner. Il avait la figure d’un coquin à tout faire, et ce qui le rendait plus dangereux encore, c’est qu’il l’eût fait en conscience : c’était un coquin patriote.

Il prit occasion des demandes d’argent que le prétendant avait faites à Law (le 5 août) et du secours que celui-ci lui fit passer. Il jeta feu et flamme, cria que l’alliance était rompue, que Law armait l’ennemi de l’Angleterre. De septembre en décembre, il le poussa de ses menaces. Rien ne dut agir plus sur Law et sur sa femme pour leur faire accepter, désirer à tout prix la protection du duc de Bourbon et de sa bande. C’était bien peu que le régent.

M. le Duc n’avait fait nul crime encore, et chacun avait peur de lui. Dans ces temps d’indécision, lui seul ne flottait pas. Dur et borné (bouché, dit Saint-Simon), n’ayant ni scrupule, ni ménagement, ni convenance, il allait devant lui. On le vit au coup d’état d’août 1718, où il dit nettement qu’il serait contre le régent, si on ne lui donnait la dépouille du duc du Maine. On le vit en décembre, quand il empoigna sa tante et la garda chez lui, de quoi elle eut tellement peur, qu’à tout prix, en s’humiliant, elle se jeta dans les bonnes mains du régent, et fut si aise alors qu’elle lui sauta au cou de joie. On craignait d’autant plus ce borgne à l’œil sanglant qu’avec les apoplexies du régent, la vessie de Dubois, il était trop visible qu’il allait avoir le royaume.