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y a une armée, c’est un danger permanent. Si ce royaume est sérieux, c’est un foyer d’attraction entraînant dans sa sphère les provinces polonaises de l’Autriche et de la Prusse; c’est dans le nord un autre Piémont, et je crois bien que l’Autriche en a eu assez d’un au midi. C’est donc encore un expédient, qui n’est point à dédaigner sans doute, mais qui n’est qu’un acheminement à une solution plus complète, A tout prendre, ne serait-ce pas l’intérêt de la Russie elle-même d’aller droit à cette solution plus entière, de se créer un allié là où il n’y a pour elle qu’un ennemi? Que peut-elle faire? Elle campe en Pologne sans y régner, et une victoire si chèrement achetée ne l’affermira pas. Elle a rencontré, il est vrai, sans la chercher peut-être, cette alliance bruyante de la Prusse qui se change aujourd’hui en demi-retraite, en une connivence assez honteuse; mais de tels faits, plus compromettans qu’ils ne sont utiles, ne font que rendre plus criante cette situation, en laissant croire que la Russie ne peut se suffire à elle-même. La possession de la Pologne n’est plus qu’un poids pour la Russie; elle ne sert qu’à offrir le spectacle dangereux d’un empire de soixante-dix millions d’âmes réduit à employer une armée de cent cinquante mille hommes, à faire marcher ses dernières réserves, la garde impériale, pour dompter une insurrection qui se Soutient depuis deux mois, et c’est la seconde expérience de ce genre en trente-deux ans! Sait-on ce que la Russie trouve en Pologne? Un embarras pour toute sa politique et une école de démoralisation pour son armée, livrée à de tels excès que des officiers se sont tués ou ont passé la frontière pour ne point servir dans de telles conditions.

Et cependant, si la Russie ne sent pas elle-même la nécessité de prendre une grande résolution, l’Europe n’a-t-elle plus d’autre ressource que de rester impassible et inactive après avoir constaté l’insuccès de ses démarches diplomatiques? N’y a-t-il pas dans les événemens actuels une sorte de logique mystérieuse qui ramène, après un demi-siècle, à une réalisation plus ou moins complète de cette alliance qui s’ébauchait dès 1815 entre la France, l’Angleterre et l’Autriche? Je n’ignore pas que l’Angleterre a toujours des préoccupations particulières, que ses sympathies pour la Pologne sont limitées par les traditions de sa politique, par un certain ennui de voir la France provoquée à se mêler trop activement d’une crise dont le dernier mot peut être la reconstitution d’un peuple qui sera un allié de plus. Ce qui est certain, c’est que la politique de l’Angleterre, un peu platonique peut-être, pourrait se résumer dans des déclarations qui, à cinquante ans de distance, expriment les deux faces de la question polonaise. Dès 1815, lord Castlereagh écrivait, dans une note adressée au congrès de Vienne, ces paroles pro-