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diverses puissances devant cette question plus que jamais rallumée en Europe.

On est ici en présence de combinaisons, de vues, de réserves qui ont été étrangement oubliées. Ce qui fut fait à cette époque du congrès de Vienne, on le sait, était le résultat d’une transaction entre des velléités et des ambitions diverses qui, faute de s’entendre sur un rétablissement de la Pologne, cherchaient à combiner l’intérêt d’une triple domination avec le droit moralement reconnu de la nation polonaise. Assurément les garanties déposées dans les actes de 1815 étaient vagues et peu efficaces; elles avaient pourtant une certaine valeur, et elles étaient surtout un progrès sur le passé. Le dernier partage de 1795 avait fait disparaître absolument des rapports publics et de la diplomatie le nom de la Pologne, que le duché de Varsovie lui-même, créé sous l’empire, n’avait pas fait revivre; ce nom reparaissait dans les actes de 1815. Dans le duché de Varsovie s’élevait un royaume uni à l’empire des tsars, mais devant avoir sa constitution, son administration distincte, et pouvant s’étendre à la Lithuanie comme aux provinces de Volhynie, de Podolie, d’Ukraine, plus anciennement incorporées à la Russie. C’était le rêve favori de l’empereur Alexandre Ier, qui cachait son ambition sous un sentiment généreux, sous une prédilection libérale pour la Pologne. Les Polonais, qui allaient appartenir à des maîtres divers, devaient avoir du moins « une représentation et des institutions nationales, » et les traités particuliers signés entre la Russie, la Prusse et l’Autriche précisaient encore mieux la nature et l’objet de ces institutions, qui devaient avoir pour but « d’assurer aux Polonais la conservation de leur nationalité. » Dans ces traités mêmes, les limites de 1772 pétaient adoptées pour déterminer les relations de commerce et de navigation entre toutes les provinces de l’ancienne Pologne soumises à un régime unique.

Est-ce là tout? Non, au-dessus de ces garanties mêmes inscrites dans les traités, sanctionnées par l’Europe, il y a dès cette époque comme une conviction universelle de ce qu’elles ont d’insuffisant, d’incomplet et même de contraire à un droit toujours latent. M. de Talleyrand, en entrant dans cette négociation et en s’arrêtant devant l’impossibilité d’une reconstitution complète, disait le premier : « De toutes les questions qui doivent être traitées au congrès, le roi aurait considéré comme la première, la plus grande, la plus éminemment européenne, comme hors de comparaison avec toute autre, celle de Pologne, s’il lui eût été possible d’espérer, autant qu’il le désirait, qu’un peuple si digne de l’intérêt de tous les autres par son ancienneté, sa valeur, les services qu’il rendit autrefois à l’Europe, et par son infortune, pût être rendu à son antique et complète