Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/459

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours prêtes à se recomposer après le passage des colonnes russes et font la force populaire de ce mouvement. Le gouvernement a senti le danger et a fait aux maires des communes une obligation de réunir des gardes urbaines pour courir sus aux insurgés. Les maires ont répondu qu’il n’y avait que des vieillards, des enfans et des femmes évidemment incapables de réussir là où la puissante armée impériale ne suffisait pas.

L’imprévoyance de la Russie en face de ce mouvement grandissant, il faut le dire, n’a été égalée malheureusement que par la violence qu’elle en est venue bientôt à mettre dans la répression. Aux premiers jours, on traitait légèrement à Varsovie cette insurrection de réfractaires. C’était une éruption, comme on disait, et les médecins habiles n’arrêtent pas les éruptions. Il était bon que tous les factieux se réunissent pour qu’on pût les atteindre et les abattre d’un coup. Aussi laissait-on partir tous les fugitifs. On allait bien plus loin : craignant que les conscrits déjà enfermés à la citadelle n’allassent faire une propagande dangereuse jusque dans l’armée russe, on en relâchait le plus grand nombre, et c’étaient autant de soldats nouveaux pour l’insurrection; mais un fait inattendu vint bientôt surprendre le gouvernement russe. Ces bandes n’étaient pas aussi faciles à vaincre qu’on l’avait supposé. Les victoires qu’on se promettait se changeaient en une série d’échecs. L’impuissance conduisait à l’irritation, et entre les autorités civiles et militaires de Varsovie c’était à qui se renverrait la responsabilité d’une lutte ainsi engagée. Une impatience violente s’emparait du gouvernement, et cette guerre devenait sombre. Alors s’ouvrait cette campagne semée de journées lugubres, — Wengrow, Siematicze, Wonchotsk, Tomaszow, Miechow, — où les colonnes russes marquaient leur passage par l’incendie, le pillage et le massacre, où les femmes d’une petite ville, sommées de se retirer, répondaient : «Ici les femmes meurent à côté de leurs maris, et les enfans à côté de leurs pères. » Et ce n’est pas par le témoignage nécessairement passionné des insurgés que se révèle le caractère désordonné et furieux de cette répression, c’est par les ordres du jour du grand-duc Constantin lui-même, réduit à constater et à blâmer les excès de la soldatesque, par les proclamations des généraux menaçant de tout saccager, de détruire les maisons par le canon et exécutant leurs menaces, par les rapports des autorités publiques racontant les sacs des villes, le massacre des habitans paisibles et même des fonctionnaires.

La guerre a sans doute ces exaspérations ; mais il y a aussi des actes à peine imaginables dans un pays civilisé, interdits à une armée régulière. Or que fait l’armée russe dans cette triste campagne? Voici une petite ville, Tomaszow, où périssent massacrées