Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Varsovie, et c’est peu de jours après, dans la nuit du 22, qu’éclatait cette insurrection qui a duré déjà plus qu’il n’était humainement possible de le croire, qui s’est maintenue assez pour attester l’inépuisable vitalité d’un peuple, et qui, dût-elle être matériellement vaincue, a un si émouvant caractère entre toutes les prises d’armes contemporaines. Qu’il y eût en Pologne un parti révolutionnaire ou, pour mieux dire, un parti d’action se séparant des conseillers d’une marche plus lente et plus pacifique, ne voyant de délivrance que par un soulèvement national et très accessible à la tentation d’une occasion favorable : oui, sans doute, il existait concentré dans un comité de direction à Varsovie. Il existe plus que jamais aujourd’hui personnifié dans des chefs sous les yeux mêmes du gouvernement, qui ne peut le saisir : il existera demain, comme il arrive en tout pays où s’agite une question d’indépendance, où les têtes jeunes et ardentes ne songent qu’aux revendications armées; mais ce parti, organisé en effet, ayant partout des intelligences, avait plus de désirs et de rêves d’action que de moyens de combat. Il avait subi plus d’une fois déjà l’influence modératrice de ceux qui croyaient, qui voulaient croire encore à l’efficacité de l’agitation morale, et si tout eût suivi son cours naturel, selon le mot de lord John Russell dans le parlement anglais, il est vraisemblable qu’il eût continué à parler d’insurrection et à ne point s’insurger. La preuve qu’il était bien moins préparé à l’insurrection que ne l’a cru et ne l’a dit la Russie, c’est qu’il n’y avait d’armes nulle part, que rien n’était prévu; une preuve plus décisive encore, c’est qu’au premier moment le mot d’ordre du parti d’action était de ne point résister, de se soumettre au recrutement. Quelques-uns des membres du comité supérieur de Varsovie s’effrayaient du mouvement bien plus qu’ils ne songeaient à le précipiter, si bien que ce comité se divisait, se dissolvait un instant, et était obligé de se reconstituer sous le coup même de cette crise pressante. Qu’a-t-il donc fallu pour mettre le feu à cette situation, pour faire une réalité de ce qui n’était que le rêve d’esprits ardens, pour que ce rêve presque platonique d’un soulèvement national passât tout à coup dans toute une population spontanément rapprochée dans une défense désespérée? Il a fallu, outre la pensée même de la conscription, la manière dont cet acte s’accomplissait; il a fallu l’impatience fiévreuse du gouvernement à publier « le triomphe de l’ordre, » sans s’informer si ses paroles, en exaspérant les âmes, n’allaient pas être pour quelque chose dans les torrens de sang offerts comme un héroïque démenti à une déclaration d’obéissance volontaire et de suicide.

Je ne sais si jamais insurrection a eu un prologue plus dramatique et plus lugubre que cette scène du recrutement à Varsovie