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été compris et réalisé par ce peuple autant que le permettent les conditions de la terre. Comment est-il advenu cependant que cette société soit arrivée à présenter l’image de la décrépitude la plus repoussante et le spectacle des corruptions les plus sanglantes et des cruautés les plus lâches?

Vous considérez la démocratie non comme une étape dans le progrès général de l’humanité, mais comme le dernier terme de ce progrès. Une fois arrivée à ce point, son long voyage est achevé, et, quel que soit son développement ultérieur, elle reste et doit rester éternellement dans l’état démocratique, l’esprit humain ne pouvant comprendre en morale et en politique aucune forme plus parfaite de la justice et plus rapprochée de la vérité abstraite que la démocratie. Vous croyez que la démocratie est non-seulement le dernier terme des institutions humaines, mais qu’elle est le sel qui empêchera désormais ces institutions de se corrompre. Les peuples ne connaîtront plus la décadence et la barbarie, parce qu’ils seront régis par la démocratie; ils ne connaîtront plus les vices qui finissent par atteindre les meilleures institutions lorsqu’elles durent trop longtemps, parce que ces institutions seront démocratiques, de sorte que, par une vertu conservatrice propre à la démocratie, les peuples n’auront pas plus à craindre la trop longue durée de cette dernière période de la race humaine, que l’âme n’aura à craindre de se corrompre par le séjour de l’éternité. Eh bien! si cela est vrai, la Chine, qui depuis des siècles, et pour ainsi dire dès ses premiers pas, a atteint cette dernière étape du progrès de l’humanité, devrait être le siège de toutes les béatitudes terrestres, et, loin d’aller ouvrir le Céleste-Empire à coups de canon, nous devrions y chercher des sujets d’édification politique. Et cependant c’est trop justement que nous traitons aujourd’hui ces vieux civilisés de barbares lâches et corrompus.

Il n’y a donc pas d’institution politique qui ait la propriété d’empêcher la justice et la vérité de se corrompre ; le seul sel qui les conserve est celui qui s’échappe des flots incessamment renouvelés qui coulent de la source inconnue de la vie. Or cette source est la propriété de l’Être tout-puissant qui ne se montre ni ne se nomme, pour lequel nos théories critiques sur les races n’existent pas, et qui se sert indifféremment de toutes les formes et de toutes les forces pour faire accomplir à l’humanité les destinées qu’il lui a lui-même assignées.


EMILE MONTEGUT.