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tune ; ils n’ont pas nié parce qu’il leur importait de le faire : c’est malgré eux que leurs croyances leur ont échappé. Loin d’aller au-devant des objections, ils n’en ont reconnu le poids qu’en dépit d’eux-mêmes. Ils ont cédé à l’évidence. Leur âme, lorsqu’ils ont vu d’abord l’abîme s’ouvrir devant eux, a été prise d’un immense et douloureux effroi : ils se sont jetés à genoux, ils ont lutté avec larmes, ils ont essayé de tous les remèdes, recouru à tous les conseillers. Sentant leur échapper les pensées qui avaient fait leur joie et leur force, comprenant tout ce qui allait leur manquer, et ne comprenant pas que rien pût leur en tenir lieu, habitués à regarder le dogme comme l’aliment de la vie spirituelle et la seule garantie de la vertu humaine, il leur semblait qu’ils allaient rouler sans fin dans des obscurités sans fond. Vingt fois ils ont résolu de douter de leurs doutes mêmes, ils ont voulu fermer les yeux à une odieuse lumière, ils se sont efforcés de croire de parti-pris, et toujours ils se sont retrouvés en présence de cet empire absolu qu’exerce le vrai sur les esprits honnêtes. Mais que dis-je? Il y a plus ici que le simple ascendant de l’évidence : si les croyans les plus fervens, si les saints même doutent aujourd’hui, ce n’est pas par la séduction des idées spéculatives, ce n’est pas même par la puissance avec laquelle s’imposent plusieurs des résultats de la critique moderne; c’est surtout par le besoin de rester uns avec eux-mêmes. Habitués à écouter leur conscience, ils ne peuvent lui résister. La sincérité est pour eux une chose si haute et si sacrée, qu’ils finissent par lui sacrifier jusqu’à leur foi. Le conflit dans lequel ils se trouvent engagés est en définitive un conflit de la morale avec le dogme, de la loyauté du caractère avec la fidélité au drapeau. En un mot, si l’essence de la religion est le juste et le vrai, on peut dire que les hommes dont nous parlons deviennent incrédules par dévouement à la religion même. Telle est la contradiction dans laquelle se débattent aujourd’hui bien des âmes! Tel est le spectacle vraiment tragique auquel assiste le XIXe siècle !

Les grandes révolutions sont celles qui restent d’abord le plus inaperçues, parce que ce sont celles qui s’accomplissent dans les idées. Celle dont nous venons de parler comptera un jour parmi les plus considérables. L’abolition des juridictions ecclésiastiques, la constitution civile du mariage, l’égalité des cultes, ne marquent pas plus nettement la fin des institutions du moyen âge que le principe de la liberté des croyances ne marquera la fin de l’époque théologique. Le dogme des dogmes, c’est le caractère volontaire de la foi. Si la foi en effet ne dépend pas d’un acte de volonté, l’homme n’est plus responsable de ce qu’il croit, l’hétérodoxie n’est plus coupable, l’église ne peut plus imposer son credo sous peine de châtimens