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vent comme infaillibles des livres tels que ceux de Moïse, pleins d’impossibilités et de contradictions. La conséquence en est que les jeunes gens qui se distinguent dans les universités préfèrent toute autre profession à celle du ministère évangélique, et que les laïques eux-mêmes tombent dans le doute ou l’incrédulité. Les pasteurs ont perdu la confiance des troupeaux. L’irréligion prévaut aux deux extrémités de la société, parmi les gens éclairés et instruits et parmi les ouvriers intelligens. On laisse aller les choses, on veut à tout prix maintenir le silence et le statu quo; mais en attendant l’église d’Angleterre est sur le point de tomber par sa propre faiblesse, elle est en train de perdre son influence sur toutes les classes, et elle ne reprendra la direction des esprits que si elle revient à la sincérité, à la vérité, à la liberté, si elle redevient un foyer de lumière et de vie. «Pour moi, ajoute l’auteur, je sens que sortir de l’église, que m’arracher à tout ce que j’ai aimé et révéré, serait un déchirement affreux. Je ne crois pas avoir enfreint les lois ecclésiastiques; mais s’il en est autrement, s’il est prouvé qu’un évêque de l’église protestante d’Angleterre n’a pas le droit de soumettre l’Écriture à l’examen et de publier le résultat de ses recherches, si cela est établi, il va sans dire que je devrai supporter les conséquences de ma conduite. C’est aux laïques de voir s’ils veulent que le clergé soit tenu de souscrire à des dogmes qu’ils ne croient pas eux-mêmes, et dont ils ne consentiraient pour rien au monde à prendre la responsabilité. »

Ce n’est pas sans intention que j’ai cité ces aveux et ces déclarations du docteur Colenso. Je l’ai déjà dit : là est le principal intérêt de son livre, là en est le point palpitant, le côté dramatique. Notre siècle est témoin d’un phénomène tout nouveau. L’incrédulité autrefois pouvait se confondre avec l’irréligion; lors même qu’elle n’était accompagnée ni du vice ni de la frivolité, rien n’empêchait absolument qu’on ne lui supposât des motifs intéressés. C’était un axiome dans l’église que nul ne pouvait s’écarter des croyances consacrées, si ce n’est par l’effet de quelque perversité secrète, et l’on ne se faisait point faute de conclure de la liberté des opinions, sinon au libertinage des mœurs, du moins à l’orgueil de l’intelligence. La candeur, la pureté d’un Spinoza n’échappait pas plus à cette logique de l’orthodoxie que la légèreté d’un Voltaire. Aujourd’hui l’argument n’est plus de mise : on a vu, on voit à chaque heure l’incrédulité envahir le sanctuaire. Disons mieux, c’est de là qu’elle sort aujourd’hui. Quelques-uns des hommes qui se sont séparés avec le plus d’éclat de la tradition ont commencé par la foi la plus naïve, la plus implicite, la plus opiniâtre. Ils n’ont pas douté pour se débarrasser d’une doctrine dont la sainteté leur était devenue impor-