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plus de six cent mille guerriers, ce qui, avec les femmes et les enfans, suppose un total de trois millions de personnes. Cette population, habitant sous des tentes, devait former une ville mouvante d’au moins douze milles carrés, à peu près l’étendue de la ville de Londres. Veut-on se représenter tout ce peuple en marche, on a une immense colonne qui, sur une largeur de cinquante hommes, couvrirait en longueur un espace de vingt-deux milles, de telle sorte que les derniers seraient séparés des premiers par deux journées de chemin. Ces chiffres obtenus, le docteur Colenso les met en regard des nombreux passages qui semblent incompatibles avec de pareilles données. Il est dit que Moïse rassemble le peuple à la porte du tabernacle : comment trois millions d’hommes seraient-ils entrés dans un espace qui n’en pouvait contenir plus de cinq mille? Josué fit la loi entière à tout le peuple : on se demande combien de personnes, dans cette immense population, purent entendre cette lecture, et si quelques-uns seulement l’entendirent, on se demande à quoi servait une si longue cérémonie. Les prêtres (il n’y en avait que trois) devaient porter hors du camp les restes des sacrifices : or les sacrifices étaient fort nombreux, et le prêtre, pour satisfaire à ce devoir, n’aurait pas eu chaque fois moins de deux lieues à parcourir. Les Israélites étaient sortis d’Egypte avec leurs troupeaux : admettons que les hommes fussent nourris de manne ; il est difficile de comprendre comment on nourrissait et on abreuvait deux millions de bœufs et de moutons. Telles sont les questions que se pose le docteur Colenso. Je laisse de côté d’autres calculs encore et d’autres difficultés. J’ai seulement voulu donner un exemple de la critique de notre écrivain. Ce qui nous importe d’ailleurs, c’est sa conclusion. Or cette conclusion, la voici : « Le Pentateuque, dans son ensemble, ne peut avoir été écrit ni par Moïse, ni par un homme qui connaissait les faits; disons plus, le prétendu récit mosaïque, quel qu’en ait été l’auteur, ne peut être considéré comme historique. La plus grande partie de l’histoire de la sortie d’Egypte, bien qu’ayant probablement quelque fondement, ne saurait être tenue pour vraie. » On voit où ceci nous mène. Si les récits de la Bible ne sont pas vrais, la Bible n’est plus un livre inspiré dans le sens où l’on prend ordinairement ce mot; elle n’est pas un livre surnaturel, un livre dont chaque ligne renferme une révélation de Dieu. Or cette notion de la Bible est le fondement de la croyance orthodoxe; elle est, le docteur Colenso ne se le dissimule pas, liée, en Angleterre, à la foi et aux espérances du plus grand nombre des fidèles. Dès lors il n’est pas difficile de comprendre avec quel mélange de terreur et d’indignation on a vu de pareilles idées se produire sous l’autorité d’un des chefs de l’église. La critique de l’auteur n’a rien de bien nouveau, de