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cédait la renommée de tant de ruines ; mais si l’Angleterre est attachée à ses usages, si elle redoute instinctivement tout ce qui peut ébranler les principes qui font sa force, elle se distingue en même temps par une équité naturelle qui ne lui permet point de juger une cause sans avoir écouté les avocats des deux parties. En vain les partisans de la critique menaçaient-ils les préjugés les plus chers, les institutions les plus respectées, les croyances les plus saintes : la sincérité du caractère anglais n’a pas permis qu’on leur fermât la bouche ; on a voulu les entendre, on les a admis à développer leurs argumens ; puis, la cause une fois plaidée, on a vu quelques-uns des juges, et ceux-là mêmes qu’on pouvait supposer les plus prévenus, déclarer qu’ils se rendaient à l’évidence, et passer des sièges de la cour au banc des accusés.

On se rappelle quel fut le principal incident dans l’histoire de cette crise théologique[1]. Plusieurs ministres de l’église anglicane publièrent, il y a deux ans, un volume d’Essais et Revues dans lequel les principes de la critique moderne étaient appliqués avec hardiesse aux livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le scandale de cette publication fut d’autant plus grand que dix éditions attestaient combien le public prenait part aux débats. Les journaux et les revues ne parlèrent plus que théologie. Les évêques lancèrent des anathèmes. De gros volumes entreprirent de réfuter les audacieux théologiens. On ne leur épargna pas les injures : celui-ci comparait M. Jowett à Julien l’Apostat ; celui-là déclarait qu’il ne pouvait lire les livres du pieux Bunsen « sans un frisson involontaire de dégoût, de pitié et de mépris. » Cependant les argumens ni les injures ne satisfirent les fureurs des gens d’église, et l’on eut recours aux tribunaux. Des sept coupables, deux furent considérés comme de moindres pécheurs : un troisième était laïque, un quatrième était mort ; mais les évêques de Salisbury et d’Ely ont réussi à faire condamner devant la Cour des Arches leurs diocésains respectifs, MM. Rowland Williams et H. B. Wilson. Il ne restait plus à atteindre que M. Jowett, le plus dangereux de tous, parce qu’il est le plus instruit et le plus influent. On a cru longtemps qu’il était protégé par sa qualité de simple professeur ; cependant les jurisconsultes ont fini par trouver un biais, et trois des collègues de M. Jowett viennent de le déférer à l’autorité universitaire. Ainsi tout allait pour l’orthodoxie au gré de ses vœux ; on n’avait pas répondu bien victorieusement, mais on avait réussi à soulever les craintes et l’indignation des fidèles ; on n’avait pas réfuté les hérétiques, mais on les

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mai 1861, un article intitulé la Crise du protestantisme.