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pendant de si longs siècles, lui semblaient témoigner en faveur de la divinité du blanc. Plus de trois mille élèves, — tous les enfans en âge de comprendre, aussi bien que les invalides et nombre de vieillards, — se rendent journellement aux diverses écoles établies dans les villages ou sur les plantations de l’archipel ; le soir, quand les enfans rentrent dans leurs cabanes, ils se font professeurs à leur tour et servent de répétiteurs à leurs parens, qui ne peuvent assister qu’à l’école du dimanche. Quelle joie pour les nègres d’ouvrir enfin ce terrible alphabet qu’ils n’auraient pu toucher autrefois sans risquer la torture du fouet, cet alphabet qu’un blanc n’eût pu leur déchiffrer sans se faire condamner à des années d’emprisonnement ! Grâce à l’influence exercée sur eux par leurs instituteurs dévoués et par quelques-unes de ces femmes de la Nouvelle-Angleterre qui cachent une âme si fortement trempée sous des dehors si gracieux, les noirs de Beaufort deviennent policés ; leurs mœurs s’adoucissent, leur langage, qui d’ailleurs n’avait jamais été mélangé de ces jurons si communs dans les bouches américaines, se purifie singulièrement et ne ressemble plus au jargon ridicule que la tradition prête à « Sambo ». Leurs cases, jadis d’une saleté sordide, sont maintenant presque toutes blanchies à la chaux et tenues avec une grande propreté. On y voit quelques meubles autres que l’ancien grabat ; des centaines de familles ont déjà poussé l’amour du comfortable et du beau jusqu’à mettre des vitres à leurs fenêtres et à coller des cartes et des gravures sur les murailles. L’initiative s’est aussi réveillée chez les noirs d’une manière remarquable, et quelques mois à peine après leur émancipation ils prenaient la résolution de pourvoir eux-mêmes aux frais de leur culte, « attendu que la conscience individuelle ne doit reconnaître aucun intermédiaire entre elle et Dieu. » Enfin la joie bruyante et naïve qui caractérise les nègres dans leur état normal commence à faire briller le regard des travailleurs de Beaufort, jadis mornes et abattus. Les négrillons, qui n’avaient aucune espèce de jeux et ne connaissaient d’autre plaisir que celui de se traîner sur le sol ou de se battre en cachette au milieu des ordures, s’amusent aujourd’hui sans crainte à tous les jeux de force et d’adresse avec le même entrain que les petits blancs des écoles du nord.

Les chants des noirs sont également une preuve évidente du changement immense qui s’est opéré. Doués d’un remarquable instinct musical comme la plupart des Africains, les nègres de la Caroline du sud ont l’habitude d’accompagner leur travail par le chant de quelques paroles très simples, exprimant presque toujours un sentiment religieux. Autrefois les airs, chantés sans exception sur le mode mineur, étaient singulièrement mélancoliques ou même lu-