Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nement fédéral dans la pensée de rendre le blocus effectif fut-elle de conquérir cet estuaire important. Dans la matinée du 7 novembre 1861, une flotte considérable commença le bombardement des deux forts qui défendaient l’entrée de Port-Royal, et quelques heures après le drapeau étoilé flottait sur les retranchemens de l’ennemi. La prise des forts fit tomber au pouvoir des fédéraux toutes les îles environnantes.

Cet archipel, auquel on donne indifféremment le nom de Port-Royal ou celui de Beaufort, le principal village du comté, s’étend sur une superficie de plus de 700 kilimètres carrés. Séparé de la terre ferme d’un côté par le Broad-River et l’estuaire de Port-Royal, de l’autre côté par le Coosaw-River, et tournant vers la haute mer une plage basse qui continue le rivage de la Caroline, l’archipel présente la forme élégante d’un triangle arrondi. Des canaux tortueux, accessibles aux vaisseaux de guerre, des bayous où peuvent à peine flotter les barques, enfin de simples coulées que le reflux laisse à sec, partagent l’archipel en une multitude d’îlots presque tous habités et couverts de plantations. Des maisons somptueuses, ombragées de magnolias, d’azédarachs, de chênes verts, se mirent dans les eaux de ces bras de mer paisibles comme des fleuves ou des ruisseaux ; de petits villages, entourés d’orangers et de figuiers, s’élèvent çà et là au détour des bayous ; sur les bords de l’eau s’étendent des champs dont le sol alluvial est d’une extrême fertilité. Les îles de Beaufort et celles qui se prolongent au sud vers Savannah, au nord de Charleston, sont ces fameuses îles de la mer (sea islands), qui produisent la variété du coton à longue fibre, si recherchée pour la fabrication des étoffes délicates[1]. Grâce à l’exportation de cette précieuse denrée et à l’excellent riz qu’ils obtenaient en abondance, les propriétaires de l’archipel étaient devenus les plus riches de la Caroline du sud : l’affluence des étrangers qui venaient, pendant la belle saison, respirer la brise de la mer, contribuait encore à grossir leur fortune. Aussi presque tous les planteurs possédaient-ils un nombreux domestique et des centaines de nègres de champ. Sur 40,000 habitans du comté, 33,000 étaient esclaves. Dans tous les états du sud, il n’existait en 1860 que sept comtés où la proportion des noirs fût plus élevé relativement à la population blanche.

Les planteurs de l’archipel de Port-Royal firent preuve d’une complète unanimité dans leurs sentimens de haine envers les hommes du nord et d’un dévouement absolu à la cause qu’ils avaient embrassée. Appartenant à une caste de grands seigneurs qui se tar-

  1. En 1860, le district de Beaufort en avait fourni 12,672 balles.