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conflits entre les tribunaux civils et l’autorité militaire. Cependant ces difficultés furent bientôt écartées dans le département du Potomac. La sévérité croissante de la discipline, le zèle des juges entièrement dévoués aux propriétaires d’esclaves éclaircirent peu à peu les rangs des abolitionistes purs ; d’ailleurs ceux-ci ne pouvaient échapper au prestige que doit nécessairement exercer toute loi, même abhorrée, sur des hommes auxquels l’amour de la constitution, la grande loi, avait mis les armes à la main. Et puis ces rudes gens du nord, qui se trouvaient pour la première fois en contact avec les élégans gentilshommes de la capitale, craignirent bientôt de se déshonorer en s’occupant de cet être méprisé qu’on appelle a stinking nigger. Pendant les premiers mois de la guerre, tout officier visant aux belles manières donnait la preuve de sa distinction aristocratique en confondant les nègres et les abolitionistes dans un même sentiment de mépris.

À l’ouest des Alleghanys, là où une simple rivière, l’Ohio, borne les domaines de la servitude sur une longueur de plus de 1,200 kilomètres, la guerre ne sévissait pas encore, et par conséquent les relations entre le maître et l’esclave n’avaient point été troublées. Le Kentucky s’était déclaré neutre et profitait de ses quelques mois de répit pour servir d’intermédiaire commercial entre le nord et le sud ; il ramassait en toute hâte les dollars que lui procuraient cette nouvelle source de trafic destinée à se tarir bientôt. C’est au-delà du Mississipi, sur les frontières du Kansas, qu’on vit les deux sociétés ennemies s’entre-choquer aussitôt après la déclaration de guerre. Dans ce pays, tous les élémens hostiles se trouvaient en contact et fermentaient depuis de longues années, attendant l’occasion favorable pour engager la lutte. Créé par un premier compromis, l’état du Missouri ne pouvait se développer que par une série non interrompue d’autres compromis. Certains comtés étaient habités uniquement par des colons libres, d’autres, situés par une singulière anomalie dans les parties septentrionales de l’état, renfermaient une forte proportion d’esclaves. La ville de Jefferson, chef-lieu du Missouri, était aux ordres des planteurs, tandis que Saint-Louis, la grande cité qui aspire à devenir le siège du gouvernement des États-Unis, était presque entièrement républicaine, et nommait pour représentans au congrès des adversaires de l’esclavage. Des milliers d’émigrans allemands, des exilés politiques, presque tous abolitionistes ardens et complètement étrangers aux subtilités des légistes américains, prêchaient avec ferveur l’émancipation des noirs. Enfin les souvenirs encore récens de la guerre du Kansas, qui avait ensanglanté les frontières pendant plusieurs années, emplissaient tous les cœurs de haine et de vengeance. Dans ces régions, situées à plus