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encore le vote de cette mesure impie. Par politesse envers les électeurs du Maryland, de la Virginie et des autres états du centre, les planteurs du sud n’insistaient que faiblement sur la nécessité de rétablir la traite des noirs ; mais il n’est pas douteux qu’en véritables logiciens ils n’eussent pas fini de remporter cette dernière victoire sur la morale. N’y étaient-ils pas autorisés par la décision solennelle de la cour suprême d’après lequelle le nègre n’a « aucune espèce de droit que le blanc soit tenu de respecter ? »

Tout cela était la loi. Grâce à leurs propres efforts et à ceux de leurs complaisans des états libres, les planteurs avaient réussi à jeter le manteau de la légalité sur toutes les turpitudes de l’esclavage et à faire sanctionner tous ses envahissemens. Sur le terrain purement constitutionnel, leur position était à peu près inexpugnable, et s’ils n’avaient pas déchiré de leurs propres mains le pacte féféral qui les protégeait, ils jouiraient encore paisiblement de leurs propriétés vivantes. Leur prétendu droit, si contraire à la morale, était du moins inscrit dans les codes et dans les actes du congrès, et cela suffisait pour maintenir la prépondérance politique des hommes du sud pendant une période indéfinie. Aussi les abolitionistes purs, qui constituaient aux États-Unis une secte de quelques milliers d’individus à peine et qu’on affectait de mépriser comme de pauvres rêveurs, reconnaissaient l’impossibilité légale de forcer l’esclavage dans ses retranchemens, et, ne pouvant espérer l’extinction naturelle de la servitude, demandaient hautement la scission entre le nord et le sud, entre les hommes libres et les planteurs. Les républicains, qui avaient donné leurs voix au général Fremont en 1856 et qui firent triompher la candidature de M. Lincoln en 1860, ne croyaient pas non plus qu’il fût possible de supprimer l’esclavage en s’appuyant sur les lois existantes, et du reste l’abolition eût-elle pu s’accomplir d’une manière constitutionnelle que leur parti n’eût pas même eu le désir de la voter. Le programme adopté à Chicago le prouve : ils admettaient dans les termes les plus explicites que le maintien de l’institution servile était garanti par le droit public et que les états à esclaves pouvaient régler à leur guise toutes leurs affaires intérieures. Placée sous la sauvegarde de la constitution, la servitude était pour les républicains chose sacrée à laquelle ils n’avaient pas plus le droit de toucher qu’un Juif n’eût celui d’écraser un serpent niché dans l’arche sainte. Leur unique but était de conserver à la liberté du travail leur propre territoire. Ils n’attaquaient point, ils se défendaient. Sous la présidence de M. Buchanan, lorsqu’ils firent admettre le Kansas au nombre des états libres, ils revendiquaient un droit solennellement garanti par des compromis antérieurs et représentaient les vœux maintes fois exprimés des