Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de mettre le château d’Angers en mesure de recevoir le lendemain son plus mortel ennemi !

Louis XIV établit dans ses mémoires que cet acte de vigueur, rehaussé aux yeux des peuples par le mystère profond qui l’avait enveloppé, fut accueilli avec des applaudissemens unanimes. Cette adhésion générale n’est pas contestable; l’impression s’en retrouve jusque dans les mémoires contemporains les plus favorables au surintendant. Soumise depuis la paix aux dernières épreuves de la disette, la nation, qui avait vainement attendu de la fin de la guerre quelque allégement à ses douleurs, les imputait tout entières aux dilapidations de Fouquet, lorsqu’il aurait fallu, pour les comprendre et surtout pour les guérir, remonter jusqu’à l’administration meurtrière dont tout l’art consistait alors à paralyser l’agriculture française en imposant les instrumens nécessaires du travail, en même temps qu’elle arrêtait la circulation de ses produits par des entraves désastreuses. Fouquet, que les salons de Paris allaient bientôt transformer en victime, ne fut au jour de son emprisonnement, pour le pays tout entier, qu’un voleur effronté frappé par la justice royale. Le crime d’état ne préoccupait encore personne; ce que poursuivait la colère publique, c’était le vol aggravé par le scandale. Dans sa périlleuse translation du château d’Angers au donjon de Vincennes, le prisonnier avait pu recueillir des témoignages non équivoques de l’indignation populaire. Si une juste condamnation avait alors frappé le dépositaire infidèle de la fortune publique dans ses richesses et dans sa liberté sans menacer ses jours, que la nature de ce crime ne semblait pas pouvoir compromettre, l’on aurait universellement applaudi à un châtiment proportionné au délit lui-même. Le sentiment public ne se modifia d’une manière de plus en plus sensible durant les trois années de cette procédure que parce que les incidens du débat ne tardèrent pas à lui donner une autre physionomie en faisant prédominer la question politique sur la question financière.

Lorsque la saisie des papiers de Saint-Mandé eut mis le crime de haute trahison sur le premier plan dans les délibérations de la chambre de justice à laquelle avait été commis le sort de l’accusé, l’opinion, qui acceptait pleinement d’avance toutes les conséquences pénales qu’auraient entraînées la concussion et le dol, ne put s’empêcher de traiter légèrement une accusation si imprévue, et le public se prit à l’apprécier bien moins d’après des pièces qu’il récusait comme suspectes que d’après les impossibilités manifestes qu’aurait rencontrées l’application d’un plan inoffensif à force d’être chimérique. Paris, déjà travaillé par les nombreux amis et pensionnaires du surintendant, fatigué d’ailleurs des longues formalités d’une