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le soleil, — fut certainement la cause décisive de son arrestation, car dans ces splendeurs, sous lesquelles pâlissait la majesté royale, le monarque entrevit un crime d’état bien plus qu’une prodigalité financière. Une importance aussi insolemment affichée fut envisagée comme un commencement de conspiration, et en quittant Vaux, Fouquet, que le roi tenait déjà pour un dilapidateur, lui apparut comme un traître.

Plusieurs semaines avant cette fête à jamais célèbre, un œil moins fasciné que celui du surintendant aurait pu entrevoir, d’après des signes non équivoques, l’intention à peu près arrêtée du monarque de l’écarter de ses conseils. Voulant commencer son grand apprentissage royal par l’étude approfondie des finances, ce prince avait réclamé des états de situation que le surintendant lui remettait chaque jour avec des omissions dans les recettes et des falsifications correspondantes dans la dépense, afin de constater, en exagérant les embarras du trésor, la nécessité absolue de son concours et de son crédit près des traitans; mais Fouquet avait compté sans Colbert, consulté secrètement par Louis XIV sur ces documens, dont l’impitoyable intendant de Mazarin dévoilait les chiffres faux avec une perspicacité stimulée par la haine. En même temps qu’il rendait à Fouquet ce bon office, Colbert faisait valoir près de celui-ci la reconnaissance que ne manquerait pas d’éprouver le roi, s’il voyait le surintendant se consacrer désormais tout entier à la gestion des finances; il le conduisait ainsi à vendre sa charge de procureur-général, qui, en cas d’accusation, l’aurait rendu justiciable du parlement. Il est donc à croire qu’en tout état de cause la carrière ministérielle de Fouquet touchait à sa fin, et qu’il était à la veille d’une disgrâce; mais il y avait un abîme entre sa révocation et la terrible mesure qui bientôt après mit ses jours en danger. Si la fête de Vaux ouvrit cet abîme, la découverte du projet de Saint-Mandé dut le creuser plus profondément encore. Les Mémoires de Louis XIV ne permettent pas d’ailleurs de douter que ce projet ne fût soupçonné tout au moins dans ses parties principales avant l’arrestation du surintendant et la saisie de ses papiers[1]. Ni le roi, ni Colbert, ni Le

  1. « Depuis que je prenais soin de mes affaires, j’avais de jour en jour découvert de nouvelles marques des dissipations du surintendant : la vue des vastes établissemens que cet homme avait projetés et les insolentes acquisitions qu’il avait faites ne pouvaient faire qu’elles ne convainquissent aucun esprit du dérèglement de son ambition, et la calamité générale de tous mes peuples sollicitait sans cesse ma justice contre lui; mais ce qui le rendait plus coupable envers moi était que, bien loin de profiter de la bonté que je lui avais témoignée en le retenant dans mes conseils, il en avait pris une nouvelle espérance de me tromper, et, bien loin d’en devenir plus sage, il tâchait seulement d’en être plus adroit. Mais quelque artifice qu’il pût pratiquer, je ne fus pas longtemps sans reconnaître sa mauvaise foi, car il ne pouvait s’empêcher de continuer ses dépenses excessives, de fortifier des places, d’orner des palais, de former des cabales et de mettre sous le nom de ses amis des charges importantes qu’il leur achetait à mes dépens, dans l’espoir de se rendre bientôt l’arbitre souverain de l’état. » Mémoires de Louis XIV, t. Ier, p. 232.