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ganimité dédaigneuse. Jamais d’ailleurs conspirateur ne joua pareille partie avec moins de précautions et une plus étrange outrecuidance. Les engagemens secrets que Fouquet s’était complu à faire souscrire aux commandans de certaines places de guerre de « le servir envers et contre tous » constituaient des actes manifestes de haute trahison, et il ne sut s’en défendre devant ses juges qu’en alléguant la romanesque satisfaction de tracer dans ses loisirs des plans chimériques dont s’amusait son esprit blasé. Dans ce programme, tout le monde avait son rôle; il ne s’agissait plus que de déterminer chacun à le jouer aux risques de sa tête pour les menus plaisirs du surintendant disgracié. C’étaient, par exemple, certains magistrats sur lesquels il comptait pour courir toutes les chances que pouvait lui envoyer la fortune par l’unique raison qu’en d’autres temps ils avaient été ses obligés; c’étaient des courtisans qu’il tenait pour acquis à sa personne parce qu’il leur servait une grosse pension; enfin l’une de ses plus pressantes recommandations à sa famille pour le jour de la catastrophe, ce fut d’employer le dévouement et l’influence du duc de La Rochefoucauld, tant il connaissait bien le cœur de l’auteur des Maximes ! Une circonstance suffit pour constater avec quelle légèreté furent écrites ces redoutables pages. Dans son premier plan de résistance, Fouquet avait fait figurer en première ligne les places du Havre, du Mont-Saint-Michel, et surtout celle de Calais, dont le gouvernement appartenait au comte de Charost, son gendre; quelques mois plus tard, il biffait ces noms-là pour y substituer ceux de Belle-Isle, de Concarneau et de Guérande, comme s’il avait pu susciter et soutenir à son gré la guerre civile sur les côtes de la Manche tout aussi bien que sur celles de l’Océan, en Normandie comme en Bretagne !


II.

C’était en caressant ces illusions déplorables que le châtelain de Vaux, chanté par tous les poètes dont il subventionnait la muse, salué par les ambitieux à courte vue comme le successeur inévitable du cardinal, attendait, au sein d’une corruption raffinée, la mort de l’homme dont l’ancienne bienveillance, quoique alors très refroidie, le maintenait seule aux affaires. Cet événement, si ardemment souhaité par l’imprévoyance de Fouquet, arriva le 9 mars 1661, et l’on sait comment Louis XIV, rassemblant à Vincennes autour du lit de mort de Mazarin ses ministres et ses secrétaires d’état, prit pour un demi-siècle l’exercice direct du pouvoir avec la majesté qui fut le caractère de ce règne solennel. Aux fautes graves que déjà le roi, d’après les révélations de Mazarin, imputait à Fouquet, celui-ci