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de Colbert et surtout depuis la publication de ce précieux Journal d’Olivier d’Ormesson, mis au jour par les soins de M. Cherruel lui-même. Afin de provoquer pour la mémoire de Fouquet un réveil de l’attention publique, il faudrait apporter un contingent de divulgations nouvelles : or ces mémoires constatent qu’il n’y a guère plus à glaner dans le champ des anecdotes que dans celui des documens de quelque valeur. La trop fameuse cassette dont certains explorateurs postés dans les bas-fonds de l’histoire ont menacé longtemps le sublime repentir de Mlle de La Vallière, l’austérité de Mme de Maintenon, l’enjouement si pur de Mme de Sévigné, a perdu désormais son dernier prestige, puisque l’éditeur de ces correspondances si volumineuses n’a réussi à en faire sortir que les lettres fort plates d’une entremetteuse employée dans des négociations qui ne rehausseront pas beaucoup le renom de l’irrésistible surintendant. Les filles d’honneur d’Anne d’Autriche n’ont pas une réputation assez solidement établie pour que les faiblesses d’une d’entre elles méritent d’être considérées comme une découverte historique. Lorsqu’un explorateur aussi infatigable que M. Cherruel a passé infructueusement quelque part, il est à présumer que tous les filons sont épuisés. C’est donc en parfaite connaissance de cause qu’on peut assigner aujourd’hui sa place définitive au personnage pour lequel des historiens fantaisistes ont cherché de nos jours dans la légende un rôle plus dramatique que celui qu’il joua jamais dans l’histoire. Pour établir avec quelle promptitude se pervertissent les dons les plus heureux au sein d’une corruption élégante, il suffira de replacer cette figure dans son cadre, au cœur même de l’époque à laquelle le malheureux surintendant put imputer à trop juste titre et tous ses vices et toutes ses fautes.


I.

Lorsque la mort fit tomber Richelieu du sommet d’où, pour parler comme le cardinal de Retz, il avait si longtemps foudroyé plutôt que gouverné les hommes, l’on put se tromper sur l’avenir réservé à son œuvre, car celle-ci paraissait beaucoup moins solidement assise qu’elle ne l’était en effet. Quand on prenait dans ce temps-là parti contre l’autorité royale, il était naturel de croire au succès de ses adversaires et peut-être de l’escompter. La pression exercée par le terrible ministre semblait devoir provoquer une réaction prochaine. Le peuple, saigné à blanc, maudissait la guerre qui avait déjà dévoré toute une génération; la bourgeoisie n’était pas moins atteinte dans sa fortune mobilière que la noblesse dans sa fortune territoriale; les parlemens se redressaient comme des arcs compri-