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expédiés dans différentes directions; mais je les vois d’ici partir au galop, puis, dès qu’ils seront à quelque distance de la ville, s’asseoir au pied d’un arbre ou dans quelque maison de paysan, passer là une heure ou deux à fumer et à dormir, puis revenir encore au galop en déclarant qu’ils n’ont rien trouvé, quoiqu’ils aient fatigué leurs chevaux à battre la campagne en tous les sens. En Turquie, est-ce qu’on prend jamais les voleurs?

Le pacha ne dispose d’ailleurs que de forces tout à fait insuffisantes. Pour faire la police dans une ville de près de quarante mille âmes et dans toute l’étendue du territoire qui en dépend, il n’a sous ses ordres qu’une trentaine d’irréguliers, gendarmes sans uniforme et sans discipline, choisis au hasard et mal payés, qui ont tout à gagner à s’entendre avec les mauvais sujets de toutes les catégories. Il y a pourtant, particulièrement dans cette province, de graves élémens de désordre : l’humeur belliqueuse et pillarde des Kurdes de l’Haïmaneh, souvent en querelle avec les paysans turcs, dont ils enlèvent les bœufs et les chevaux; l’insolence des Tcherkesses et des Tartares récemment émigrés dans l’empire ottoman, et, partout où on les a cantonnés, cherchant à s’emparer, aux dépens des anciens propriétaires, des meilleurs pâturages et des champs les plus fertiles ; enfin les avantages que les brigands de profession trouvent à exercer leur industrie dans une province riche, sur la grande route de commerce qui va de Constantinople à Kaisarieh, et que parcourent tant de caravanes. Dans de pareilles conditions, le gouverneur ne devrait-il pas avoir à sa disposition au moins un bataillon d’infanterie de ligne et un escadron de cavalerie? On serait presque tenté d’admirer les pachas qui réussissent avec des moyens aussi insuffisans, à obtenir quelque chose qui ressemble à de l’ordre, car enfin on ne vole pas tous les jours des chevaux à la porte d’Angora. Si on voulait en voler, qui donc empêcherait de le faire? Aussi est-ce surtout la bonhomie de toutes ces populations qu’il faut louer de la sécurité relative qui règne maintenant en Turquie; l’autorité et ses efforts n’y sont pas pour grand’chose. Je comprends la réponse que faisait l’autre jour le pacha de lusgat à une douzaine de Turcs qui avaient été dépouillés par les Kurdes tout près de cette ville, où ils arrivaient d’Angora. Les Kurdes leur avaient tout pris, jusqu’à leur chemise. Les malheureux, dès qu’ils furent à peu près vêtus grâce à la charité des premiers passans qu’ils rencontrèrent, allèrent se présenter au konak et demander justice au pacha, un des grands gouverneurs-généraux de l’empire. « Que voulez-vous que j’y fasse? (Neh iapaïm?) » répondit, en levant les épaules, le haut fonctionnaire. Du reste, il avait raison : il n’y pouvait pas grand’chose, et ce n’est ici que par trop de franchise qu’il péchait. Plus curieuse encore est la réponse faite, il y a quelques mois, par le