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lines ; il est tel propriétaire qui pour en trouver une et la conduire chez lui a dépensé 20 ou 30,000 piastres. C’est qu’aussi le repos au grand air, après les heures chaudes du jour, est bien plus doux encore bercé par le murmure de la fontaine voisine, caressé par la fraîcheur que répand dans l’air le jet d’eau que fouette la brise!

Ce ne sont pas les maisons luxueuses des riches Grecs, vers le nord de la ville, qui jouissent de la plus belle vue ; seulement, dans ce canton, le sol est plus uni, les arbres fruitiers réussissent peut-être mieux, et les vergers se déploient plus librement sur des pentes doucement inclinées. Je préférerais pourtant habiter au sud d’Angora : là, dans le territoire qu’on désigne sous le nom de Buïuk-Esset, les maisons sont éparses dans de profonds et tournans ravins qui ont un caractère assez pittoresque ; de grands peupliers et des saules indiquent, au fond de la gorge, le cours du petit torrent qu’y forment quelques heures de pluie, et, à mi-côte, çà et là quelque large et vieux chêne s’élève auprès des maisons qu’habitaient au dernier siècle les négocians européens établis dans le pays; presque tous avaient choisi ce côté. Un peu plus loin, des hauteurs de Tchengi-Kaia, où les maisonnettes des Turcs se mêlent à celles des petits bourgeois catholiques, bâties de terre et de quelques planches légères, la vue est plus libre et le ciel plus ouvert. On aperçoit de face toute la ville déployée en éventail au pied de sa citadelle, mais elle ne paraît qu’un point dans l’immense horizon que l’œil embrasse depuis l’Husseïn-Ghazi-Dagh jusqu’à l’Olympe de Galatie. La large vallée qui va jusqu’à Istanos se découvre tout entière. Le paysage n’a aucun trait saillant ni de forme ni de couleur; mais, vers le soir, quand de grandes ombres se projettent sur la plaine, que ces longues chaînes se détachent sur les douces splendeurs d’un couchant que n’enflamme aucun nuage, quoiqu’il n’y ait là ni la mer, ni la forêt, ni le fleuve, on ne se lasse pourtant pas de regarder jusqu’à ce que la nuit se fasse, et que dans un ciel clair les étoiles paraissent.

Il n’est guère si misérable habitant d’Angora qui n’ait ses quelques ceps de vigne, et parmi eux quelque chose qui ressemble à un toit, une chambre plus ou moins close où il peut dormir quelques nuits avec sa famille sans trop craindre la rosée et les piquantes fraîcheurs du matin. On ne reste pas dans les vignes toute la belle saison; en moyenne, on n’y passe point tout à fait trois mois. On y monte vers la fin d’avril ou le commencement de mai, et on en redescend vers le milieu de juin. Pendant les grandes chaleurs, on se trouve mieux dans les maisons de la ville, plus vastes et plus hautes; il y a d’ailleurs peu d’ombre dans les vignes, et la course pour venir à ses affaires tous les matins et retourner tous les soirs