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commerce d’exportation : certaines familles se sont éteintes; les derniers survivans, des Français, ont été obligés de quitter le pays en 1798, lors de l’expédition d’Egypte, et les négocians grecs, avec l’intelligence et l’activité qui les caractérisent, se sont hâtés de prendre la place vide, et se sont portés les héritiers des marchands européens. Ce sont eux qui achètent et qui revendent en bloc à l’Angleterre le produit le plus précieux du pays, le poil des fameuses chèvres d’Angora, cette longue et soyeuse laine qui rivalise avec celle des chèvres de Cachemire; ces chèvres ne réussissent et le poil n’est vraiment beau que dans une région très limitée, grande peut-être comme deux départemens français, de Tchifteler à Angora, de Sivri-Hissar à Tchangra; aussi ces négocians sont-ils toujours sûrs de pouvoir placer à des prix avantageux toutes les laines qu’ils ramassent, cette marchandise étant très demandée en Angleterre, où l’on en fait des tissus fort recherchés. Moitié à leurs propres frais, moitié pour le compte de grandes maisons anglo-grecques de Londres et de Constantinople, suivant que la récolte est abondante et que leurs propres capitaux se trouvent ou non suffire aux opérations qu’ils entreprennent, les Altentopoghlou, les Chichmanbodos et plusieurs autres riches familles acquièrent directement du paysan et achètent sur tous les marchés où il se montre tout ce que la province peut fournir de poil de chèvre; eux-mêmes font, grâce à ce monopole que les Arméniens n’essaient même pas de leur disputer, des bénéfices réguliers et considérables, et ils emploient en même temps à acheter dans les villages, à emmagasiner et expédier les ballots de laine, les plus pauvres de leurs compatriotes.

Pendant les derniers temps de notre séjour à Angora, nous nous trouvions en relations fréquentes et suivies avec plusieurs des principales familles grecques où le docteur Delbet avait soigné et guéri des malades. C’est peut-être encore là, tout compte fait, ce qu’il y a de plus intelligent et de plus libéral à Angora parmi les laïques; c’est la société où un Européen se sent le plus à l’aise et a le plus à apprendre. Quelques-uns des jeunes gens ont été envoyés à Londres par leurs parens, ont vu Paris au passage, et parlent assez couramment l’anglais; mais ce voyage a eu pour effet de développer chez eux une certaine présomption impertinente qui est un des défauts les plus communs parmi les Grecs de tous les pays où l’on en rencontre. Nous préférons donc la conversation de leurs pères et grands-pères, quoique en général ils ne sachent pas même le grec et ne parlent que la langue turque. Nos relations avec eux sont plus agréables et plus sûres qu’avec les catholiques. Ceux-ci, — je parle des laïques, — en plusieurs occasions où nous avons besoin d’eux, cherchent visiblement à nous exploiter. Quelques-unes des premières familles catholiques du pays ne répondent même point par les plus simples