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un fez de Tunis coquettement posé sur le côté de la tête; tous ces négocians qui forment le gros de la nation s’absentent assez souvent, et restent tantôt toute une saison, tantôt même un an ou deux, éloignés d’Angora, établis à Constantinople ou dans quelque ville de l’intérieur, où ils auront trouvé quelques profits à faire. Or il n’est pas rare qu’en revenant au logis ils trouvent leur famille prête à s’augmenter, ou augmentée déjà d’un marmot qu’avec la meilleure volonté du monde et avec les calculs les plus complaisans ils ne peuvent en conscience prendre à leur compte. Dans ce cas, la plupart du temps le mari outragé bat un peu sa femme, la gronde beaucoup, et finit par garder la mère et l’enfant. Les Arméniens, ici du moins, ne sont pas d’humeur tragique; il est presque sans exemple qu’à la suite même de pareilles surprises il se commette des actes de violence grave.

Au demeurant, malgré des exemples isolés d’inconduite et des faiblesses dont la plupart restent ignorées, nulle part en Orient je n’ai vu la situation de la femme plus convenable qu’à Angora parmi les catholiques; nulle part elle ne m’a paru mieux tenir sa place dans la maison et y exercer une plus légitime influence, être traitée avec plus d’égards par son mari, avec plus de respect par ses enfans. Une institution moitié domestique, moitié religieuse, que nous n’avons vue nulle part ailleurs, contribue encore à relever ici la dignité de la femme, c’est celle des machrabets ou vierges. Il y a ici beaucoup plus de filles que de garçons; bien des jeunes gens, ne trouvant pas à vivre dans le pays, s’en vont à Constantinople ou ailleurs, et reviennent trop tard ou ne reviennent jamais. Aussi beaucoup de jeunes filles, n’espérant pas se marier, se consacrent au célibat par un vœu qu’elles répètent d’année en année jusqu’à l’âge de quarante-cinq ans; alors seulement ce vœu devient définitif et perpétuel. Elles se font les sœurs de charité de la famille; ce sont elles qui soignent les malades, qui aident la mère à élever les enfans, qui la remplacent malade ou morte. Il est bien peu de familles qui n’aient ainsi leur Providence, leur auxiliaire dévouée et désintéressée. C’est le rôle que jouent parfois chez nous les vieilles filles qui ont su se résigner à leur sort, les bonnes tantes, la spinsteraunt des romans anglais.

Quelque légères que puissent être à d’autres égards les mœurs de la société catholique d’Angora, ces vierges ne font pas parler d’elles; il arrive très rarement des accidens. Elles peuvent se marier à l’expiration d’un de leurs vœux annuels; mais cela même est rare, parce que le changement d’état dans ce cas est considéré comme peu honorable, et que l’opinion y voit la défaite avouée de la chasteté, un triomphe déclaré des désirs charnels. Un prêtre qui est ici depuis une vingtaine d’années me dit n’avoir entendu parler