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ture religieuse analogue à la nôtre les a préparés à s’engager dans nos voies, et à y marcher sans risquer de se casser le cou dès les premiers pas; enfin, malgré des différences tout extérieures, la famille, parmi ces populations chrétiennes, a été de tout temps constituée de la même manière, assise sur les mêmes bases que chez nous, et les sentimens qu’elle développe y ont d’autant plus de puissance et de profondeur que, pendant de longs siècles d’oppression, l’homme a été plus violemment rejeté vers le foyer domestique par les misères et les humiliations qu’il trouvait prêtes à l’assaillir dès qu’il avait franchi le seuil de sa maison et mis le pied dans la rue.

Voilà comment on peut s’expliquer que la moralité n’ait pas souffert de ce changement si marqué d’habitudes sociales, de cette liberté toute nouvelle établie dans les relations des deux sexes, de cette sorte d’émancipation de la femme : non qu’il faille se hâter peut-être d’accepter sur parole tout ce que se plaisent à dire de leur troupeau l’excellent évêque et ses prêtres. A les en croire, tandis que les femmes grecques, à si peu d’exceptions près qu’il ne vaut pas la peine d’en parler, manqueraient singulièrement de respect pour les liens sacrés du mariage, leurs pénitentes seraient au contraire presque toutes de petites saintes, et il n’y aurait à Angora, parmi les catholiques, ni maris malheureux, ni jeunes filles ou veuves oubliant qu’elles n’ont pas encore ou qu’elles n’ont plus le droit d’aimer. C’était là une illusion que nous n’avons pas pu partager bien longtemps; il est facile de s’apercevoir qu’il règne dans toute cette société catholique, surtout parmi les femmes, un peu d’hypocrisie. Le clergé, un clergé célibataire et par conséquent actif, curieux, mêlé à tout et se trouvant partout, y est très nombreux. Il y a près de trente prêtres pour une population de douze mille âmes environ ; aussi leur influence se fait-elle sentir dans toutes les familles, et ce n’est qu’en se dissimulant sous un voile de dévotion plus ou moins vive que les vices éternels trouvent à se satisfaire commodément, et que les filles d’Eve peuvent, ici comme ailleurs, mordre au fruit défendu. On va beaucoup à confesse : quand nous allons voir l’évêque, nous trouvons presque toujours son antichambre pleine de femmes agenouillées qui attendent, en disant leur rosaire, le moment de se confesser à lui; mais j’imagine qu’on ne lui conte pas tout, car un confesseur d’un autre genre, le docteur Delbet, dès qu’on a pu éprouver sa discrétion, reçoit bien des confidences qui ne s’accordent guère avec les informations trop optimistes que nous avait données un pasteur involontairement intéressé à vanter ses ouailles.

Angora a donc ses Lauzun et ses don Juan arméniens, beaux garçons joufflus aux grands yeux noirs, aux longs cheveux retenus sous