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arménienne de périr comme langue savante et littéraire, les mékitaristes de Venise et de Vienne se sont chargés depuis longtemps de réfuter cette banale et vaine accusation. Je n’ai pas besoin de dire qu’au séminaire d’Angora on pousse très loin l’étude de l’arménien littéral, langue sacrée de l’église arménienne, qui, malgré son union au catholicisme, conserve ses rites et sa liturgie, — de la nation arménienne, qui ne vit plus que dans le pieux souvenir de ses enfans, dispersés à tous les vents du ciel, de la Pologne aux frontières de la Chine.

Les études comprennent en outre le turc, dont ces jeunes gens auront à se servir pendant toute leur vie, un peu d’arabe et de persan, qui les aideront à bien parler le turc et à se montrer supérieurs sur leur propre terrain aux trois quarts des Ottomans, l’italien enfin et le latin. C’est à l’aide de ces deux dernières langues que l’on étudie la théologie, la morale, la métaphysique et l’histoire ecclésiastique. Sans doute la partie dogmatique de cet enseignement est très arriérée ; cette métaphysique en latin, empruntée aux collèges de Rome, n’est qu’un amas de vaines formules; il en est de même de cette théologie, qui ne soupçonne pas les sérieuses et profondes objections de la science moderne. La morale est appesantie par les subtilités de la casuistique. Quant à la partie philologique, certainement il n’y a pas là cette méthode qui pourrait relier l’une à l’autre toutes ces études et établir entre les diverses langues de fécondes comparaisons. Le sens littéraire n’est pas éveillé; les professeurs font traduire du Virgile, sans pouvoir expliquer à leurs élèves en quoi Virgile est plus beau qu’Ovide. Et pourtant, malgré ses lacunes, c’est encore un grand bienfait qu’un pareil enseignement. Par les hautes études dogmatiques qu’il suppose, par le cadre qu’il ne réussit peut-être pas à remplir, mais qu’il a du moins le mérite de tracer, il s’élève au-dessus de ce caractère tout utilitaire et pratique que gardent partout en Orient les études séculières. Par la place faite à l’arménien, il entretient dans la nation le souvenir de ses origines et le sentiment de son unité. Par l’italien, qu’il rend nécessaire, par le français, dont il donne le goût et le désir, il tourne vers l’Occident les yeux de ces frères que séparent de nous de si vastes espaces, et il dépose en eux un principe supérieur de haute culture intellectuelle.

Grâce à l’intelligent et libéral concours de l’Œuvre des écoles d’Orient, cet enseignement, si remarquable déjà quand on le compare atout ce qui l’entoure, va encore s’élargir et se compléter. Conformément au désir qu’en avait exprimé Mgr Chichmanian, les deux meilleurs élèves du séminaire d’Angora ont été appelés en France et placés, aux frais de l’œuvre, dans le séminaire de Saint-Sulpice. A