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une série de lettres, où l’on n’avait encore vu que des chiffres cabalistiques, prenait tout à coup, par une rapide intuition, sa suite et son sens, quand, les mots principaux une fois trouvés, la ligne se lisait enfin tout entière et la phrase apparaissait. D’ailleurs, pour me distraire, j’avais sans cesse auprès de moi des femmes et de petites filles turques qui se montraient l’une à l’autre mon chapeau, mon crayon, mes instrumens, qui me demandaient comment s’habillent les femmes chez nous, et me faisaient mille autres questions naïves. La maison appartenait à Achmet-Aga, un marchand turc du bazar. Nous avions pénétré chez lui grâce à la maladie de son enfant, qu’il avait été bien aise de montrer à notre médecin. Tandis que le docteur examinait le pauvre petit malade, j’avais pu m’assurer que le commencement de l’inscription existait dans la pièce voisine, et, moitié par intimidation, moitié par l’offre d’une indemnité convenable, j’avais obtenu du propriétaire l’autorisation d’abattre tout ce qui me gênait et de le reconstruire à mes frais ; mais la maîtresse de maison, moins sensible à l’argent que son seigneur et maître, n’avait pas pris la peine de cacher sa colère en voyant s’installer chez elle un étranger, un ghiaour, dont la présence l’obligeait à rester constamment voilée; aussi me jouait-elle d’abord de mauvais tours. Elle sortait par exemple de chez elle un moment avant mon arrivée, et je trouvais ainsi porte close. Je finis par gagner son cœur en l’aidant à soigner son enfant, que nous ne parvînmes pourtant pas à sauver.

Dans la maison où nous eûmes à chercher la suite de l’inscription dont les huit premières colonnes se trouvaient chez Achmet-Aga, c’était autre chose; inhabitée depuis longtemps, elle servait de magasin à un marchand de fourrage, et elle était remplie de cette paille hachée menu que laisse comme résidu le mode de battage usité en Orient. Grâce à l’intervention du pacha, la clé, qui nous avait d’abord été refusée par le propriétaire, nous fut remise. Nous fîmes pratiquer par nos ouvriers une tranchée dans la paille, tout le long du mur de la cella, et une sorte d’allée pour nous y rendre. Le travail n’était pas commode dans ce grenier sans lumière, derrière ces mobiles et inflammables monceaux de fourrage. Au moindre mouvement, la paille, ou plutôt cette poussière de paille, s’éboulait autour de nous. En cherchant à éclairer de tout près avec la bougie les caractères souvent presque effacés, il fallait toujours craindre de mettre le feu aux brins qui remplissaient çà et là les trous du mur; deux ou trois fois j’en fis flamber sans le vouloir, et si je ne me fusse hâté d’éteindre la paille enflammée avec les deux mains, tout le quartier eût été bientôt brûlé et le temple dégagé.