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plement sous la direction d’ingénieurs français. Ce sont des employés venus d’Alger qui ont posé le télégraphe électrique de Tunis à la frontière de la province de Constantine ; ce sont également des Français qui ont été chargés de reconstruire l’ancien aqueduc de Carthage, et qui s’occupent des embellissemens de la capitale du beylick.

Là se borne, semble-t-il, le rôle de la France. Quelques négocians des départemens du midi sont établis à Tunis et dans les autres ports de mer les plus considérables ; mais la France n’a pas encore envoyé à la Tunisie un seul colon proprement dit, à moins qu’on ne regarde comme tels de malheureux proscrits échappés de Lambessa. Les émigrans d’Europe venus dans la régence pour exercer une profession manuelle ou pour cultiver le sol sont presque tous originaires d’Italie ou de Malte, cette île presque italienne qui bientôt comptera, comme les Baléares, un plus grand nombre de ses enfans sur les plages étrangères que sur son propre sol. À Tunis, sur 10,000 Européens, 8,000 viennent de Malte, de Sardaigne, de Sicile ou de Naples. À Sfax, à Sousa, à Mahédia, à Bizerte, à Porto-Farina, les colonies d’étrangers sont aussi presque exclusivement composées d’Italiens et de Maltais. Près du cap Bon, l’ancien promontoire de Mercure, ce sont eux qui s’occupent de la pêche du thon ; dans l’île fameuse des Lotophages, ils recueillent les éponges ; déjà même ils commencent à pénétrer par groupes de familles dans les villes de l’intérieur : M. Guérin les a rencontrés à El-Kef, près de la frontière algérienne. Les Italiens, fils de ces Romains qui avaient une première fois porté leur civilisation dans la province d’Afrique, semblent donc avoir pour mission de rattacher cette contrée d’une manière définitive au monde européen. Nul doute que la facilité croissante des communications, les exigences du commerce international et la force d’attraction des colonies déjà existantes n’accroissent incessamment le nombre des émigrans italiens domiciliés sur ces rivages de Tunis, situés à quelques heures à peine de Palerme et de Cagliari. Tous les progrès de l’Italie profiteront à son ancienne province. En ressuscitant, la patrie des Régulus et des Scipions ne se relèvera pas seule ; elle évoquera aussi du tombeau son antique ennemie, la Carthage qu’elle écrasa jadis.


ÉYSÉE RECLUS.



Histoire de l’Emigration européenne, asiatique et africaine an XIXe siècle, par M. Jules Duval[1].


L’émigration a pris depuis trente années un si rapide développement que l’on peut aujourd’hui en écrire l’histoire. Soit qu’on la considère comme un fait politique, soit qu’on l’examine comme un phénomène économique,

  1. 1 vol. in-8o, librairie Guillaumin, Paris 1862.