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rin espérait-il aussi rapporter comme trophée de son voyage la célèbre pierre de Thugga, dont l’inscription bilingue dans les idiomes punique et libyque exerce encore la sagacité des orientalistes ; mais le savant français arriva trop tard pour faire la conquête de ce monument. Plusieurs années auparavant, un de ces archéologues anglais qui, à l’exemple de lord Elgin, s’occupent d’enrichir leur nation des dépouilles précieuses du monde entier, sir Thomas Reade, avait détaché la fameuse pierre du mausolée qu’elle décorait. Elle se trouve maintenant au Musée britannique, ce rendez-vous de tant de trésors recueillis aux quatre coins du globe. M. le duc de Luynes a obtenu une remarquable copie de cette inscription bilingue, et l’a fait insérer dans le Voyage archéologique.

Le but principal de M. Guérin était, il est vrai, la recherche des inscriptions antiques ; mais cette recherche ne l’a point tellement absorbé qu’elle ait fermé ses yeux au spectacle de la nature et des hommes. Le voyageur décrit aussi les contrées et la société qu’il a visitées, et fait songer le lecteur au grand avenir réservé à cette vieille terre carthaginoise, si importante jadis et de nos jours si désolée. La Tunisie occupe une position géographique admirable, bien plus heureuse que celle de l’Algérie sa voisine, dont les côtes, battues par une mer dangereuse, se développent de l’est à l’ouest sans endentations considérables. Les rivages de Tunis, situés à une égale distance du détroit de Gibraltar et du futur détroit de Suez, surveillent le passage qui met en communication les deux grands bassins de la Méditerranée, et s’avancent vers cette nappe d’eau presque fermée qu’entourent l’Italie, la Sicile, la Sardaigne et la Corse. Projeté ainsi dans la direction de l’Europe comme pour prendre sa part du commerce immense qui anime la grande mer italienne, le littoral tunisien offre en outre l’avantage d’être plus profondément découpé et de posséder de meilleurs mouillages que les autres parties du massif continent d’Afrique. Au nord, c’est le beau golfe de Carthage déroulant ses harmonieux contours entre deux caps consacrés par les anciens, l’un au dieu du commerce, l’autre à celui de la poésie ; au sud s’arrondissent les golfes de Hammamet et de Gabès, dont les plages basses seraient d’un accès difficile, si, par un privilège exceptionnel dans la Méditerranée, elles ne présentaient l’alternance régulière du flux et du reflux. Grâce au reploiement de la côte dans la direction du sud, aucune partie de la Tunisie n’est éloignée de la mer ; les oasis viennent elles-mêmes affleurer le rivage et fournissent ainsi une route des plus faciles aux caravanes qui se dirigent vers l’intérieur du continent. Aux privilèges commerciaux que lui assure sa position d’intermédiaire naturelle entre l’Europe méridionale et le centre de l’Afrique, la régence de Tunis joint les avantages de posséder un des plus beaux climats du monde, un sol fertile et accidenté, des sources nombreuses, des rivières relativement abondantes. Du reste, l’histoire et les ruines éparses nous enseignent ce que fut un jour et ce que pourra devenir bientôt cette belle