Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est toujours téméraire de choisir pour sujet d’un libretto d’opéra un grand artiste, et surtout un musicien. Il est rare que le compositeur remplisse, dans ce cas, toutes les conditions qu’exige l’imagination du public. En 1837, on donna au théâtre du Palais-Royal un gros vaudeville sous le titre de Stradella, qui eut beaucoup de succès et dont une partie de la musique, paraît-il, était de M. de Flottow lui-même, qui alors cherchait fortune. Le 3 mars de la même année, un autre Stradella, en quatre actes, fut représenté à l’Opéra avec un succès d’estime. Le libretto était de MM. Émile Deschamps et Émilien Pacini, et la musique de M. Niedermeyer, dont ce fut la première œuvre importante. Le librettiste allemand qui a élaboré le sujet, de Stradella pour M. de Flottow a divisé sa fable en trois actes, sans aucun scrupule pour la donnée historique, qu’il a sans doute ignorée.

Le premier acte se passe à Venise, où Stradella s’éprend d’une belle passion pour Leonora, pupille d’un certain Delfino, qui n’a pas l’humeur commode. Comme le tuteur, en effet, repousse les prétentions et l’amour de Stradella, les deux amans s’enfuient de Venise et vont se réfugier dans un village des environs de Rome. C’est là dans une auberge connue et qui porte cette inscription : alla Campanella (à la clochette), qu’arrivent aussi, l’un après l’autre, les deux bravi chargés par Delfino d’expédier dans l’autre inonde le merveilleux chanteur. Une lutte s’engage alors entre les deux amans et les assassins, lesquels, attendris par les nobles accens de Stradella, tombent à ses pieds et lui demandent pardon de leur criminel projet. La pièce s’achève joyeusement par le mariage de Stradella avec Leonora, sous les auspices du vieux sénateur Delfino, qui bénit ses enfans, qu’il avait voulu faire assassiner l C’est le plus comique des mélodrames que j’aie jamais vus de ma vie. Ajoutez que les deux bravi convertis deviennent les serviteurs de Stradella, et que tout le monde est heureux et content. Quelques incidens de mise en scène et une ou deux situations assez bien amenées font supporter ces trois actes, remplis d’une gaîté équivoque et d’une fade sensiblerie.

On ne peut louer, au premier acte de cet ouvrage débile et monotone, ni l’ouverture, qui est médiocre, ni le premier chœur de l’introduction, sur lequel plane la voix de Stradella. La sérénade qui suit et que le héros chante sous le balcon de sa belle :

Cara ! il tuo bene
À te s’en viene
Con lieto cor


est une mélodie agréable et, relativement au style de l’ouvrage, assez originale. Le duo pour soprano et ténor qui résulte ensuite de l’entrevue des deux amans contient une phrase douce et même touchante sous ces paroles que Stradella adresse à Leonora :

Per colline e valli erbose
Mi conducca in porto amor !