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qui est tombée si bas, et qui est si nécessaire à la conservation du goût. Espérons qu’on ne verra plus des représentations comme celles de Don Juan qu’on nous a données, espérons qu’un chef d’orchestre et des professeurs de solfège sans autorité n’auront plus le droit de mutiler des partitions comme le Barbier de Séville et Cosi fan tutte. Il faut à la tête de ce théâtre un administrateur intelligent, qui confie à un artiste considérable, à un compositeur connu, le pouvoir de présider à l’exécution et de refréner par ses conseils les licences des virtuoses ignorans et vaniteux. Qu’il ne soit plus permis à M. Delle-Sedie de crier à tue-tête une phrase du Barbier de Séville, — Guarda, don Barlolo, — qui doit être chantée à demi-voix, et que les mouvemens, les nuances et ces mille détails sans lesquels il n’y a pas de musique soient scrupuleusement observés. La décadence dans les arts s’accuse toujours par des altérations insensibles qu’on apporte à l’esprit de l’œuvre qu’on veut interpréter, par la liberté que s’accordent les virtuoses de supposer au maître des intentions qu’il n’a pas clairement exprimées.

En attendant que ces vœux s’accomplissent, le Théâtre-Italien, qui a eu beaucoup de fantaisies pendant le cours de cette saison, a donné le 19 février la première représentation d’un opéra allemand en trois actes, Stradella, dont la musique est de M. de Flottow. Où était la nécessité de faire traduire et d’accommoder pour le Théâtre-Italien de Paris une faible partition de l’auteur de Martha, dont les petites idées et le style mou et inconsistant ne sont ni de l’école allemande, ni de l’école italienne, ni de l’école française ? Eh quoi ! vous avez dans votre ancien répertoire des chefs-d’œuvre nés sur le sol ove il bel si risuona, vous pourriez évoquer des opéras presque inconnus de Cimarosa, de Guglielmi, de Paisiello, de Fioravanti, de Donizetti et même de Rossini, et vous allez choisir un ouvrage médiocre qui n’a pas été écrit pour des voix italiennes. Vous avez donc été bien émerveillé de la musiquette de Martha pour vous être ainsi empressé de donner Stradella qui est bien inférieur au chef-d’œuvre de M. de Flottow ! Vraiment le Théâtre-Italien de Paris n’a pas été institué pour exhiber de petits opéras romantiques allemands, mais pour exécuter les belles œuvres de l’école italienne. M. de Flottow, qui est Allemand, a passé une partie de sa jeunesse à Paris, où il a fait son éducation musicale. Très répandu dans le monde, il s’y fit connaître comme un amateur distingué, et produisit plusieurs ouvrages, dont le plus connu est la Duchesse de Guise, qui fut représenté au théâtre Ventadour en 1840 au bénéfice des Polonais. Après avoir essayé de l’Opéra-Comique par un petit acte, 'l’Esclave du Camoëns, qui n’eut aucun succès, M. de Flottow se rendit en Allemagne, et donna au théâtre de Hambourg, en 1833, Stradella, qui fut très bien accueilli dans les principales villes de l’Allemagne. Martha est venue après et a été écrite à Vienne en 1847. Le sujet de Stradella, qui a été plusieurs fois mis au théâtre, est trop connu pour que nous ayons besoin