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part que le concert de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche se pût exprimer le plus tôt possible dans un document, dans un acte commun aux trois puissances. Au surplus, les progrès de l’entente à trois vont dépendre de la conduite de la Prusse et de la Russie. Nous comprenons qu’il doive y avoir des nuances dans le langage que l’on fera entendre à Berlin et à Pétersbourg, C’est Berlin qui a eu la pensée et qui a été l’instigateur de la convention militaire ; c’est Berlin qui, par sa coopération spontanée, peut égarer le gouvernement russe et le détourner de la politique que ses véritables intérêts lui conseilleraient de suivre envers la Pologne. Il convient donc que les observations adressées à Berlin soient également courtoises, mais plus sévères. Il y a plus de ménagemens à garder envers Pétersbourg, car de Pétersbourg pourraient venir des actes d’initiative favorables à la Pologne, et il ne faut point avoir à se reprocher de rendre à l’empereur Alexandre les concessions impossibles en offusquant son indépendance et en blessant sa fierté. De même aussi, dans le cas où la suite des événemens viendrait malheureusement à réclamer de la part des puissances une action plus énergique, on pourrait admettre une différence de ton et de degré entre la France et l’Angleterre d’un côté et l’Autriche de l’autre. L’essentiel quant à l’Autriche, ce serait qu’elle conservât aux puissances occidentales son concours moral, et que leurs efforts pour la Pologne, même quand ils devraient être plus vigoureux que les siens, eussent toujours du moins son approbation. Remarquons en passant deux heureux effets de la campagne diplomatique qui semble s’engager. Cette campagne rapproche l’Angleterre de la France, et enlève à la solidarité de la spoliation de la Pologne celle des puissances copartageantes qui prêta avec répugnance sa complicité à cet acte néfaste, et qui en a gardé le remords. Deux résultats pareils sont un bon et encourageant commencement. Ce début est de bon augure pour la Pologne et devrait inspirer de sérieuses réflexions à la Russie.

Nous le disons en toute sincérité, et en cela nous ne croyons pas manquer à la sympathie que nous professons pour la cause polonaise : à nos yeux, le souverain qui peut encore faire le plus pour la Pologne, c’est l’empereur Alexandre. Nous ne nous attendons point à le voir convaincre par le froid langage de la diplomatie, qui a tant de peine à n’être point blessant. Les actes qui pourraient terminer la crise actuelle, ce n’est pas la diplomatie qui les lui demandera, car, en les réclamant de lui, elle les lui rendrait impossibles. On peut les lui proposer sans impertinence au nom des sentimens et des pensées que fait naître sa situation. L’Europe éclairée, libérale, pacifique, n’a encore éprouvé pour l’empereur de Russie qu’une estime affectueuse. Elle voit en lui l’émancipateur des serfs. Elle accompagne de ses vœux ce prince humain, qui a eu le malheur de recevoir en héritage un empire que le pouvoir absolu, avec ses tyranniques rigueurs, a laissé sans organisation politique et sans organisation sociale. L’Europe ne connaît