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tique. Ce langage presque religieux étonne moins quand on voit que la secte a toujours eu son culte philosophique, son chef dépositaire et gardien de la doctrine, sa tradition invariable et non interrompue. Chose singulière vraiment que ce soit la plus froide des doctrines antiques, la plus morne, la moins faite pour exalter les âmes, la plus justement soupçonnée d’athéisme, qui ait été la mieux instituée pour mettre l’esprit à l’abri du doute et pour assurer par la foi et la fraternité le repos de la vie !

En général, on ne se rappelle pas assez, en lisant les philosophes anciens, ceux surtout qui appartiennent à la fin de la république et à l’empire, que les doctrines morales de l’antiquité n’étaient pas seulement un objet de curiosité scientifique, une distraction élégante, une matière à de savantes disputes, mais qu’elles offraient aussi des refuges où les consciences troublées, les âmes que la vie avait blessées allaient chercher le repos, un soutien, une foi. Les écoles étaient devenues des sectes et quelquefois de petites églises qui avaient leur propagande active, leur prédication journalière et passionnée, leurs adeptes et leurs prosélytes. Tous les hommes qui avaient quelque goût pour la perfection morale, des jeunes gens dont l’âme était généreuse ou pure, des politiques émérites ou désabusés, les victimes de leurs propres passions ou des passions d’autrui allaient demander, selon les besoins, à l’une ou à l’autre de ces sectes des lumières, un appui ou des consolations. Les maîtres se chargent des âmes, les éclairent, les dirigent ou les fortifient. Par un singulier renversement de ce qui se passe dans nos sociétés chrétiennes, ce sont les philosophes qui, dans l’antiquité, remplissent quelques-unes des fonctions morales qui sont réservées chez les modernes aux ministres du culte. Tandis que chez nous les âmes tourmentées ou froissées vont d’ordinaire de la philosophie à la religion, les anciens, par les mêmes motifs, allaient de la religion à la philosophie. Pour peu qu’on y réfléchisse, on en saisit tout de suite les raisons. Les prêtres du paganisme n’étaient que des officiers du culte, de simples fonctionnaires politiques qui présidaient à des cérémonies. Ils n’avaient rien à enseigner, et à Rome, par exemple, ils ne comprenaient pas même le vieux formulaire en langue barbare dont ils avaient à réciter les paroles. Le paganisme lui-même n’offrait aucune lumière aux esprits ni aux consciences. Il ne renfermait pas un idéal moral auquel on pût conformer sa vie. Quelles peines pouvait-on confier à Jupiter? quels exemples de vertus, de continence, de décence, pouvait-on chercher auprès de ce libertin céleste? Irait-on demander à Junon des leçons de patience conjugale, à Vénus des conseils sur la chasteté, à Mercure des règles de probité commerciale? Quant aux besoins d’une raison non satis-