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dans l’antiquité il n’y eut pas d’école purement philosophique qui, par la fixité de ses principes et la simplicité de ses démonstrations, fût plus capable d’attirer un esprit avide de foi et de repos. Il semble qu’Épicure ait eu le dessein prémédité de fonder une sorte de religion, si l’on peut donner ce nom à une doctrine sans Dieu. Ce n’est pas une simple école, c’est une église profane avec des dogmes indiscutables, avec un enseignement qui ne change jamais, et entourée d’institutions qui assurent la docilité des adeptes et protègent la doctrine contre les innovations. D’abord Épicure se présentait au monde comme un révélateur de la science véritable, considérant comme non avenus tous les systèmes qui avaient précédé le sien. Parmi tous les fondateurs de doctrines, seul il osa se donner à lui-même le nom de sage. Pour rendre son école accessible à tous, même aux plus ignorans, il ne demandait pas à ses disciples d’études préparatoires, ni lettres, ni sciences, ni dialectique. Il ne fallait pas une longue initiation pour devenir épicurien, il suffisait d’admettre un certain nombre de dogmes faciles à retenir et de savoir par cœur le manuel du maître. En mettant son enseignement à la portée de tout le monde, Épicure, pour le rendre immuable, eut la précaution de le placer sous la garde d’une autorité. Par son testament, il légua ses jardins et ses livres à son disciple Hermarchus comme au nouveau chef de l’école et à tous ses successeurs à perpétuité. La doctrine alla de main en main sans que dans la suite des siècles aucune hérésie en ait jamais menacé l’intégrité, et fut ainsi transmise dans sa pureté originelle pendant près de sept cents ans jusqu’à l’invasion des Barbares, où elle disparut dans l’écroulement du monde antique. Pour mieux assurer le respect de sa doctrine et de sa mémoire, Épicure avait expressément recommandé de célébrer chaque année par une fête l’anniversaire de sa naissance. À cette solennité les disciples avaient ajouté l’usage de se réunir tous les mois dans des repas communs. Le maître était toujours comme présent au milieu de cette famille philosophique ; on voyait partout chez ses adeptes son portrait en peinture, ou gravé sur les coupes et les anneaux. Sous ce patronage vénéré, les disciples vivent entre eux dans la plus parfaite concorde et restent unis par les liens d’une confraternité devenue célèbre. C’est ce respect si bien établi pour Épicure, toujours réveillé par des fêtes commémoratives, c’est encore cette ferveur de sentimens entretenus par la communion des esprits, qui explique l’enthousiasme surprenant des épicuriens pour leur maître. Peu s’en est fallu que, dans le fanatisme de leur admiration et de leur reconnaissance, ces contempteurs de toutes les divinités ne lui aient rendu des honneurs divins. « Il fut un dieu, oui un dieu ! » s’écrie Lucrèce dans les transports de son ivresse poé-