Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
POÈTE LUCRECE

T. Lucretii Cari, De Rerum Natura, libri sex, — édition de C. Lachmann, Berlin 1853.

Tandis qu’en France depuis plusieurs années on se met en quête avec ardeur pour découvrir le texte authentique de nos grands écrivains, la patiente Allemagne se livre à un travail analogue, mais plus difficile, et revoit les manuscrits anciens pour nous donner des éditions plus exactes des auteurs grecs et latins. Quelques savans aventureux vont même jusqu’à déclarer hardiment qu’une notable partie des poésies latines par exemple est apocryphe. On ne se contente plus d’élever des doutes sur tel ou tel vers, on met au rebut des morceaux célèbres, on n’émonde plus avec la serpe, on se sert de la hache. Que l’on se garde pourtant d’être injuste envers la science allemande. Cet esprit critique et négatif, bien qu’il soit quelquefois arbitraire et fantasque, a rendu de grands services aux lettres anciennes en révisant avec rigueur et sans superstition le texte de certains poètes dont les œuvres avaient été visiblement chargées d’interpolations. Ainsi, pour ne parler que de Lucrèce, le célèbre Lachmann, avec la sagacité la plus pénétrante et une hardiesse bien souvent heureuse, a débarrassé le poème de la Nature de bien des choses incompréhensibles et ineptes. En se fondant sur les manuscrits les plus autorisés, servi d’ailleurs par une connaissance profonde de l’auteur et de sa doctrine, il a restitué le texte, qui nous est parvenu dans un état presque indéchiffrable, et qui, après avoir été défiguré au moyen âge par l’ignorance des copistes, avait été