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Soudain la porte s’ouvre, et voici que Lazare,
Avec Jean le flûteur, s’avance lentement.
Roch s’arrête, il hésite, et plein d’étonnement :
« Que voulez-vous ? » dit-il d’une voix accablée.
Et le jeune homme alors lui tend sa main hâlée :
« Voyez, ô Roch, ma main n’est plus blanche à présent ;
Le travail dans les bois, la froidure et le vent
L’ont brunie. Aujourd’hui qu’elle est rude et calleuse,
La refuserez-vous encore, âme orgueilleuse ? »
Un silence profond se fait après ces mots.
Tout à coup maître Roch, éclatant en sanglots,
Attire dans ses bras et Lazare et Sylvine,
Et, les tenant tous deux pressés sur sa poitrine,
Les couvre de baisers…

Dans l’ombre, le flûteur,
Le front dans ses deux mains, contemple leur bonheur…


VIII. — ALLEGRO.


Un mois a fui. Les cœurs ont repris du courage,
Lazare dans les bois a fini son ouvrage.
Et pour les tisserands de meilleurs jours sont nés.
— De son pauvre logis, aux murs abandonnés.
Le dernier des Paulmy, ce soir, avec Sylvine,
Est sorti. Le jour baisse. Une cloche argentine
Soupire lentement… Et c’est demain matin
Le jour tant désiré ! Les bûcherons demain.
Vers la modeste église à la flèche élancée.
Escorteront le maître avec son épousée…
Le crépuscule tombe, et les deux jeunes gens,
Loin du bruyant faubourg, s’en vont à travers champs.
Ils longent les blés verts et les vergers plus sombres.
Au milieu des épis, tantôt comme deux ombres
Ils passent, et tantôt emmi les néfliers
Ils s’enfoncent tous deux. Parfois, dans les sentiers
Rapides et glissans, Sylvine, moins timide,
S’appuie en tressaillant sur le bras de son guide.
La lune en ce moment se lève, et ses clartés
Couvrent les chemins creux de réseaux argentés.
Et Lazare s’assied auprès de son amie
Sur un banc d’où l’on voit la vallée endormie
Et la ville aux lueurs éparses, tout au fond.