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Que les pommes de pin pétillent au milieu ;
Jetez-en plus encore, allumez un grand feu !

Hélas! le feu béni, la parure et la joie
De l’hiver, le brasier rougeâtre qui flamboie
Et nous fait croire encore à la chaude saison.
Plus d’un ne le voit pas luire dans sa maison !
Durant les mois glacés, dans plus d’un âtre vide,
La neige seule vient joncher la pierre humide,
Et parmi ces foyers sans flamme, au premier rang.
Est le foyer désert de Roch le tisserand.

Roch travaille, Sylvine est absente, et la mère
Est malade. La cave est comme une glacière.
L’âpre vent de la nuit, par le châssis mal clos,
Pénètre avec un bruit pareil à des sanglots,
Et Roch, pour réchauffer ses membres qui frissonnent.
S’acharne à son métier, et les leviers résonnent,
Et la navette vole. — Un coup faible et discret
Soudain pousse la porte, et Lazare paraît.
Il s’arrête, il hésite, et, plein d’incertitude,
Se tait. « Que voulez-vous? » dit Roch d’une voix rude.
Et le jeune homme alors, maîtrisant son émoi.
Au maître tisserand répond : «Pardonnez-moi.
Si ma parole tremble et se fait mal entendre,
C’est que d’un mot de vous mon repos va dépendre;
Le bonheur de ma vie est tout entier ici.
Je me nomme Lazare Engilbert de Paulmy;
Mon père est mort, je vis comme vous solitaire,
Et pauvre comme vous. Un jour, au cimetière.
J’ai rencontré Sylvine, et sa fière douleur.
Et sa chaste beauté, m’ont pénétré le cœur...
Les mots qu’elle m’a dits, je les entends encore
Tinter à mon oreille ainsi qu’un chant sonore;
Je les entends partout, dans les soupirs du vent,
Dans la cloche qui sonne au clair soleil levant.
Je l’aime! et si sa main par vous m’est refusée,
Mes jours n’ont plus de but, et ma vie est brisée.
Maintenant j’ai fini. Maître Roch, voulez-vous
Que je sois votre fils, que je sois son époux? »
Le tisserand se lève et fait d’un pas rapide
Deux ou trois fois le tour de sa demeure humide.
Il regarde Lazare, il est comme ébloui.