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Encore un mouvement, un dernier spasme encor,
Pareil au doux frisson d’un oiseau qui s’endort,
Puis plus rien... La voilà morte et déjà livide!
Son âme blanche fuit loin de la cave humide
Vers ce ciel des enfans, tout bleu, tout radieux,
Où la douleur jamais ne fait pleurer leurs yeux.
Le petit corps glacé reste sur la couchette ;
Ses traits sont beaux malgré leur pâleur violette,
Car l’enfance est bénie, et son charme est si fort
Qu’il triomphe et persiste au-delà de la mort.
Tout autour du berceau la famille est groupée :
La mère tout en pleurs, immobile et frappée.
Semble dans sa stupeur une autre Niobé ;
Le père, maître Roch, vers l’enfant s’est courbé,-
Comme pour découvrir quelque reste de vie;
La main sur le cadavre, il écoute, il épie,
Anxieux, absorbé. — A ses pieds, un jeune homme.
Un pauvre estropié, blême et chétif, qu’on nomme
Jean Caillou le flûteur, sanglote, et lentement
Entre ses maigres doigts roule un jouet d’enfant.
La pâle sœur aînée, adossée à la porte.
Taille dans une robe un linceul pour la morte.
Elle est grave et pensive, elle est belle, non pas
De la beauté des lis, des roses, des lilas.
Cette beauté splendide et pleinement éclose,
La beauté des heureux, — non, mais tout autre chose.
Un charme intérieur, pénétrant, concentré;
Un maigre et fier visage ardemment éclairé
Par deux yeux bruns profonds où la vie étincelle.
Purs comme l’eau de source et limpides comme elle;
Un front large où l’on sent l’effort victorieux
De l’âpre volonté; de noirs cheveux soyeux
Effleurant un cou blanc : — telle apparaît Sylvine.
Rien qu’aux sobres contours de son sein, l’on devine
Un lumineux esprit répandant son éclat
Dans ce corps transparent, suave et délicat.

Cependant le jour croît dans la cave. Le père
Se lève brusquement, et d’une voix sévère :
« Elle est morte, dit-il, vous pourriez sangloter
Pendant plus de cent ans sans la ressusciter.
Assez pleuré! La mort clémente l’a ravie
A l’heure où l’on ne voit que le beau de la vie ;
Tant mieux! Elle n’aura là-haut ni froid ni faim,