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Penchez-vous! Regardez, longues files d’aïeux,
Ce que le temps a fait de vos derniers neveux!...
Sous le plus pauvre toit d’un faubourg populaire,
Le vieux Marc de Paulmy va mourir de misère.

Le vieillard se leva brusquement, puis il prit
Entre ses doigts les mains du jeune homme, et lui dit :
« Mon fils, je sens la mort qui plane sur ma couche;
Avant donc que sa main de marbre ait clos ma bouche.
Écoute-moi. — L’esprit de ce siècle est mauvais,
A son œuvre maudit ne travaille jamais.
Sois fier! Tous tes aïeux furent des gens d’épée,
Fais-toi comme eux une âme austère et bien trempée;
Ne mêle pas ton nom à des trafics d’argent,
Surtout ne sois jamais manœuvre ni marchand.
Reste pauvre et sois fier. Sois fier ! que dans ton âme
Ces mots soient à jamais gravés; qu’en traits de flamme
Ils éclairent la nuit ton rêve, et qu’au matin
Ils résonnent pour toi comme un timbre d’airain !
Sois fier, et s’il fallait vider jusqu’à la lie
Le vase de douleur, s’il fallait à la vie
Dire un suprême adieu pour garder ton honneur,
Lazare, mon enfant, sache mourir sans peur. »
Il s’était soulevé sur son lit, et la fièvre
Illuminait ses yeux et pâlissait sa lèvre ;
Dans son cœur, le vieux sang des ancêtres battait.
Lazare l’entourait de ses bras et sentait
Je ne sais quoi de fort passer dans tout son être...
Mais la voix fit silence. «. Il est mort, » dit le prêtre
En aspergeant le corps avec le buis bénit.
L’ombre envahit Lazare, et la salle s’emplit
D’obscures visions aux mornes attitudes;
Il entendit le vent glacé des solitudes
Pleurer dans la maison, et vit, épouvanté,
Le deuil et l’abandon s’asseoir à son côté.
…………………..

En bas, la cave est nue, et la nuit l’environne;
Mais les premiers rayons d’un pâle jour d’automne
Pénétreront bientôt jusqu’au fond du cellier
Où Roch le tisserand a fait son atelier...
La mort entre avec eux. — Sur sa pauvre couchette,
Une enfant de quatre ans gît fiévreuse et muette;