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sentiellement à la réalité du pouvoir politique, à l’étendue d’un état, qu’elle a une garantie plus sûre dans la conscience d’un pape. Et c’est ainsi que de cette situation même se dégage le double fait d’une souveraineté temporelle insuffisante à se soutenir par sa propre force, n’existant que comme une ombre autour de laquelle une armée étrangère fait sentinelle, et d’une éclipse réelle d’autorité politique qui cependant n’empêche pas l’indépendance du pontife.

Sait-on ce qui a contribué le plus à affaiblir l’idée de la souveraineté temporelle du saint-siège et à préparer son irrémédiable chute? C’est cette impossibilité de se réformer qu’on a fait peser sur elle, et qu’elle a semblé accepter en se retranchant dans une sorte d’immobilité transformée en dogme. Il y a un mot, un sentiment et une pensée qui ont joué un grand rôle dans les affaires contemporaines de la papauté. Ce mot, c’est : « impossible! pas de transaction! » Le sentiment est celui de son irresponsabilité même politique devant les hommes. La pensée, c’est de tout attendre moins d’une initiative prévoyante et efficace que des événemens. Lorsque le pape Grégoire XVI était près de mourir après un règne qui laissait le saint-siège singulièrement compromis, il disait à un prêtre, M, l’abbé Bernardi, aujourd’hui grand-vicaire de l’évêché de Pignerol : « L’administration des états de l’église a besoin d’une grande réforme. J’étais trop vieux pour l’entreprendre, car il faut que celui qui commence une telle œuvre puisse la mener à bonne fin. Après moi, on élira un pape jeune; ce sera à lui de faire des choses sans lesquelles on ne peut plus marcher. » Ces paroles du vieux pape expirant étaient le programme des premiers jours du pontificat de Pie IX. L’erreur de la politique romaine, lente d’abord dans cette œuvre de réforme, souvent dépassée par l’opinion et bientôt surprise par les révolutions de 1848, fut de croire que ce qui était nécessaire avant l’orage ne l’était plus après cette douloureuse expérience, qu’on pouvait sans risque revenir à ce que Grégoire XVI avait fait, non à ce qu’il avait dit, et qu’une restauration de la papauté par les armes de la France pouvait couvrir une réaction d’absolutisme et d’immobilité. De là cette double situation du saint-siège et de la politique française, l’un ramené à Rome, perdant le temps le plus précieux et laissant s’accumuler les dangers par l’inaction dans la sécurité, l’autre réduite à protéger ce qu’elle n’approuvait pas et engagée dès ce moment dans cette voie sans issue où elle se débat encore aujourd’hui.

C’est peut-être, dans l’histoire des affaires politiques du saint-siège, le moment le plus décisif de notre temps, non-seulement par la catastrophe visible, extérieure, d’un pouvoir jeté dans l’exil et ramené par une armée étrangère volant au secours du chef du catho-